dimanche 1 décembre 2013

Les forces armées canadiennes. Au menu...

Bon, Nanti de cette conception qu'un pouf n'est pouf tant et aussi longtemps qu'un pouf n'a pas traversé toutes les épreuves prévues dans le cadre de l'instruction  militaire, je m'en vais au bar de la base. Je bois tant et aussi longtemps que je peux. La résultante, je me suis saoulé comme un cochon pour la modique somme de cinq dollars. Je retrouve le chemin des baraques, content d'avoir au préalable ramassée ma valise au poste des polices militaires à l'entrée de la base (J'écris ces lignes tandis que je suis passablement amoché, dû à une bouteille de rhum). Vraiment, j'ai eu une belle soirée; il me reste assez de lucidité pour retrouver mon cubicule et mon lit.

Une fois sur place, j'ai juste assez d'intelligence pour me dévêtir et m'allonger. Il est six heures du matin lorsque je suis réveillé par un autre "pouf".
"Eh, lèves-toi! Le sergent arrive dans quelques minutes. J'ai juste le temps d'aller pisser. Au retour, il y a un sergent qui m'attend...

 "Vous! Me dit-il en me pointant de l'index, vous n'avez pas fait votre lit?
- Je viens tout juste de me réveiller, monsieur. J'ai pas eu le temps...
- C'est quoi votre nom? Je veux connaître votre nom, ça presse! Pis en toryeux!
- Yves Beaulieu, monsieur.
- On dit «monsieur» quand on s'adresse à un officier, vous saurez. Oubliez-pas 
- Soldat Beaulieu n'a pas fait son lit, sous prétexte qu'il arrive des toilettes? Il n'a pas eu le temps, le pauvre.
- Je viens juste de me lever...

Il se tourne vers mes compagnons et dit : Monsieur Beaulieu vient tout juste de se lever, entendez-vous ça? Et maman, vous attend pour le petit déjeuner peut-être? Il se retourne vers moi, me regarde posément puis se dirige
vers mon lit.
D'un geste rapide, il saisit la literie d'une main tandis que de l'autre main, deux pas plus tard, il ouvre complètement la fenêtre et fout le tout dehors : Oreiller, couverture de laine grise et draps de coton!

« Soldat Beaulieu a-t-il quelque chose  à ajouter? fait le sergent, tout mielleux.
- Non, monsieur!
- Non, sergent, vous voulez dire! On m'appelle sergent Mercier, ici. Tu comprends le français?
- Oui monsieur, Je veux dire : Oui, sergent Mercier!
- Bon, Il commence à comprendre! Vous êtes ici  depuis quand, soldat?
- Depuis hier soir, sergent.
- Il m'a dit sergent, l'apprenti soldat! Vous entendez?
Toutes les recrues approuvent de la tête. Le sergent se tourne vers moi et me dit ceci, tout bas :
- Je vous ai à l'œil, soldat Beaulieu. Vous êtes dans ma ligne de mire. Je ne vous quitte plus d'un œil, vous saisissez?
- Oui monsieur, Je veux dire, oui sergent!»

Sur ce, il quitte mon cubicule et rejoint celui de mon voisin immédiat, afin d'y recommencer son manège.

"Wôh, mon Bidou! C'est pas la vie en rose, ici.

Et en effet, la vie en formation militaire n'est pas celle que l'on connaît depuis toujours : La vie civile n'a rien à voir, mais vraiment rien à voir avec la vie militaire. Voici donc le programme offert au pouf, à l'élève, c'est à dire l'apprenti-soldat :
 

Contenu de la QMB (Qualification Militaire de Base)

  • Exercice élémentaire (drill)
  • Premiers soins
  • Maniement des armes
  • Entraînement physique
  • Topographie
  • Entraînement en campagne
  • Survivre sous les conditions chimiques, biologiques, radiologiques et nucléaires (CBRN)
  • Opérations de protection de la force
  • Règlements des Forces armées canadiennes
  • Communication
  • Histoire militaire

Routine quotidienne

  • 5h: Réveil
  • 5h10: Entraînement physique matinal
  • 6h30: Déjeuner
  • 7h00: Inspection
  • 8h: Instruction
  • 11h30: Dîner
  • 12h30: Instruction
  • 17h: Souper
  • 18h: Entretien de l’équipement personnel et des quartiers
  • 23h: Coucher

Ce que vous devez savoir de l’entraînement de base
  • Votre cours sera composé d'environ 62 % de formation académique avec étude et examens théoriques; d'environ 25 % de formation en campagne avec examens pratiques; et 13% de votre cours sera attribué à l'entraînement physique. Type d'entraînement physique : course, salle de conditionnement physique, piste à obstacles, marche forcée, circuit d'entraînement en gymnase, entraînement en piscine. Il est très important d'avoir de bons souliers de course. 
  • Pour les militaires du rang : si vous êtes célibataire, vous devrez payer des quartiers et rations pendant votre séjour à l'École au montant de 662$ par mois; si vous êtes marié/union de fait, vous devrez payer des rations au montant de 566$ par mois. Ce montant sera directement déduit de votre solde.
  • Vous ne pouvez pas quitter la base militaire avant d’avoir complété les cinq premières semaines d'entraînement. Par la suite, les permissions sont accordées en fonction de votre performance à l'entraînement. Il n'y a pas de droit de visite la semaine.
  • Les téléphones cellulaires peuvent être utilisés les soirs de semaine après l’instruction mais pas avant 18h. Une utilisation raisonnable se limite aux communications avec la famille et les amis; les autres appareils, tels les lecteurs MP3, iPod, iPad, portables, etc., peuvent être autorisés les fins de semaine en garnison s’il n’y a pas d’instruction à l’horaire et si la performance du peloton est jugée adéquate par les instructeurs.
  • En cas de demande de libération volontaire, vous devrez assumer les frais de transport pour retourner à votre domicile ou à votre lieu d’enrôlement. Si vous avez des effets personnels en entreposage, vous devrez également assumer les frais pour les retirer. De plus, vous devrez compter de deux à quatre semaines avant que les procédures administratives soient complétées et que vous puissiez retourner à la maison. (Ce délai s’applique seulement si votre dossier ne comporte aucun problème majeur et si aucune action disciplinaire n'est en cours).

Évaluation initiale de la condition physique

Au cours de la première semaine d'entraînement de base, les candidats seront soumis à l'évaluation de leur condition physique afin de déterminer s’ils peuvent entamer leur cours de Qualification militaire de base (QMB).
Jusqu'au 31 janvier 2014, les candidats effectueront le test Express des FC afin d’évaluer leur condition physique. Pour plus de détails à propos du test, veuillez consulter le site web du Groupe de recrutement des Forces canadiennes.
À compter du 1er février 2014, l’évaluation initiale de la condition physique sera composé des trois épreuves consécutives suivantes:
  1. Course précipitée sur 20 mètres
  2. Traction de sacs de sable
  3. Course en navette de 20 mètres
Voici les objectifs de rendement de chaque épreuves:

Course précipitée sur 20 mètres

Traction de sacs de sable

  • Description: Transporter 1 sac de sable de 20 kg tout en traînant un minimum de 4 sacs de sable de 20 kg sur le sol sur une distance de 20 m sans interruption. Le nombre de sacs de sable utilisés dépend du type de sol. Visionner la vidéo sur le site de la Division des Programmes de soutien du personnel (PSP).
  • Norme: À compléter sans interruption.

Course en navette

  • Description: Effectuer des aller-retour jusqu'à épuisement entre deux lignes espacées de 20 mètres à une allure croissant de 0,5 km/h par paliers d'une minute.
  Norme:
 
  1. Pour les moins de 35 ans:
    1. Homme: Palier 6.0
    2. Femme: Palier 4.0

  2. Pour les 35 ans et plus:
    1. Homme: Palier 5.0
    2. Femme: Palier 3.0
   
    Vous devez atteindre la norme de chacune des trois épreuves afin d’entamer votre cours de QMB.

Si la norme de l’une des trois épreuves n’est pas atteinte, vous joindrez un programme d'entraînement physique spécialisé qui est aussi offert à l'École de leadership et de recrues des Forces canadiennes (ELRFC).

   Ce programme, qui consiste à ce que vous adoptiez de saines habitudes de vie, autant sur les plans alimentaire que de la condition physique, peut être suivi pendant un minimum de 28 jours civils jusqu’à un maximum de 90 jours civils. Dès que vous atteindrez la norme après la période de 28 jours, vous réintègrerez un cours de QMB. Si la norme n'est toujours pas atteinte après 90 jours civils, vous serez libéré des FAC.

 
 
*  *  *

      
 
   Je peux affirmer que j'ai complété cette formation de base avec tous les honneurs et quatre ans plus tard, je suis honorablement libéré des Forces armées canadiennes, ayant préféré ne pas poursuivre la vie militaire plus avant. En effet, une année avant la fin du contrat, l'armée pose la question au militaire. Un refus signifie une fin de contrat presque immédiate et un accord signifie la poursuite d'une carrière dans les forces armées...


Faire une carrière militaire ne m'intéressait pas, je voulais voir du pays autrement.






Suite de Faire une carrière militaire ne m'intéressait pas ici .











 

dimanche 27 octobre 2013

La bûche est prête...

Et le bois à fendre est sec!

















Cet hiver-là, il nous faut au moins douze cordes de bouleau fendues pour venir à bout du grand froid. S'il m'arrive de fendre plus d'une corde par jour, c'est que j'ai oublié qu'il fallait que je m'arrête. Pris par le jeu de la hache, je fends toutes mes bûches en deux, d'un seul coup. Le bouleau est facile à fendre, si je le compare à l'érable ou au chêne. Parfois, je me plais à fendre la bûche en quartier. Je termine toujours la corvée en faisant un tas de copeaux, pour faciliter l'allumage du foyer. Ça me fait penser à ce mécanicien d'avion qui travaille avec moi. Il habite depuis peu l'Abitibi et il s'avère qu'il est originaire de la France, pour être plus précis, de la région de Marseille. Il n'y a pas longtemps, il m'a invité à le rejoindre dans le rang St-Michel, non loin du village de McWatters.

Il m'a montré une parcelle de terre et m'a confié qu'il venait tout juste de l'acquérir pour la modeste somme cinq mille dollars, à peu près 3600 Euros. Cent vingt mètres de façade par 180 de profondeur. Oui, c'était dans les prix...

Le Français s'était acheté une scie à chaîne et avait coupé presque tous les arbres du terrain. Il les avait débarrassés de leurs branches puis les avait coupés en bout de quarante centimètres, la longueur idéale pour le poêle. Ensuite, il avait cordé tout ce bouleau mêlé de faux peupliers au centre de son terrain. Immédiatement, j'ai qu'il ne savait pas comment s'y prendre. Je me suis penché et j'ai ramassé plusieurs bûches. Ma brassée de bois sur le bras gauche, mon bras le plus fort, j'ai marché jusqu'à une extrémité du terrain et j'ai déposé le tout entre deux arbres toujours debout, un peu plus d'un mètre les séparaient l'un et l'autre. Trois autres brassées de bois plus tard, il avait saisie l'idée générale. Les arbres retiendraient les bûches; ainsi placées, ces dernières pourraient sécher au vent en toute sécurité, sans le risque de s'effondrer...
L'idée m'est venue de lui demander comment il s'y était pris pour couper ses arbres. Ravi, il a sorti la scie à chaîne de son coffret, s'est avancé vers l'arbre qui était le plus près et, après l'avoir démarrée, a déposé la chaîne de la scie sur le dos de l'arbre, à environ 20 centimètres du sol. La coupe fut ardue vers les derniers centimètres, il éprouva de la difficulté à retirer la lame du tronc de l'arbre.
"Tu veux couper afin qu'il tombe directement sur ton terrain et non pas ailleurs, c'est ça?
Lionnel acquiesça.
"Alors, pratique une entaille ici puis ici. On s'entend que l'arbre doit tomber du côté de ton terrain, n'est-ce pas?
De nouveau, Lionel acquiesce.
"Vas, mon homme et montre à bibi ce que tu sais faire! Lionel s'est penché face à l'arbre et pratiquer une première entaille là où je lui ai indiqué. 
"Maintenant, fais le tour de l'arbre et place-toi derrière. Primo, il faut que ta coupe soit plus haute que la première et secundo, ta dernière coupe doit se faire ici, tu vois, comme une "encavure"...
"Quoi? S’étonne Lionel. Mais parle donc français, qu'on se comprenne, putain!
"Les gros mots, les gros mots! Places ta lame ici, tout de suite en bas de ta dernière entaille. Ce faisant, places-toi sur le côté de l'arbre. Restes pas derrière, tu pourrais le recevoir dans les parties, si tu vois ce que je veux dire...  
En effet, il comprenait le sous-entendu. Il se plaça sur le côté de l'arbre et porta le coup fatidique.

"Pas touche! Tu vas voir, il va tomber tout seul." Et c'est en fait ce qui se produisit. L'arbre tomba là où il devait s'abattre. Nous n'avons pas eu le temps de nous féliciter de cette heureuse fin qu'une dame se pointe en vélo et se stationne devant nous. Nous, nous sommes surpris, mais de manière fort agréable.

Il s'agit d'une femme dans la jeune quarantaine, sculptée au couteau ma foi. Un corps splendide, très bien conservé; un teint basané, des cheveux blonds courts pour mieux révéler un cou gracile, d'une courbe exquise. Le maillot qu'elle porte montre bien qu'il n'y a pas une once de graisse à perdre sur ce corps. Lionel se tient là, debout face à la gazelle, les bras ballants, la bouche ouverte. Elle remarque son regard et décide de "dé enfourché" la bicyclette (Je me comprends). Prestement, elle passe une jambe longue et fine au-dessus du siège et se retrouve à moins de deux pas de notre ami, un peu plus haute que lui, en ce sens que la pointe des seins de la dame est à la hauteur de ses yeux qui eux, n'en finissent plus d'être grands.

"Bon. Eh bien. Je pense que je vais faire un bout, j'ai du bois moi aussi à corder", dis-je en m'éloignant tranquillement du couple. Lionel n'a même pas détourné le regard. 

"C'est ça, Yves. On se revoit!"

Il a dit ces mots sans même dévier de sa posture. Il s'imagine déjà entre ses seins, le pauvre. Oh, pas à plaindre mais pas du tout à plaindre, le bonhomme. Je quitte les lieux. Eux, ils se regardent encore, dans le silence le plus complet.  Je crois que de son côté, le bois va attendre... 


jeudi 19 septembre 2013

Là-bas, ailleurs : Le Monde, les forces...

     Je me suis renseigné sur les forces armées canadiennes : L'armée, l'aviation, la marine. L'aviation me tente beaucoup : Je pourrais voir le monde d'en haut, le découvrir comme un aiglon se laissant glisser le long d'un pic rocheux, toucher le sol, apprivoiser des gens, des mentalités différentes. 

La marine arrive en deuxième place dans mes pensées : Une fille pour chaque port... L'armée de terre, soldat de guerre. Trop pacifique. Il ne restent que l'aviation et la marine. Je préfère l'air à l'eau; l'asthme témoigne du besoin de bien respirer. À l'eau, je risquerais de ne pas respirer longtemps... Va pour l'aviation! La liberté, l'air tout court! Les femmes seront au rendez-vous de toute manière!



Bon. Cela décidé, que me reste-t-il à faire? Il faut que je trouve un centre de recrutement, je devrai m'informer sur les métiers offerts par les forces armées canadiennes, les professions qui menacent moins l'état de santé du Beaulieu qui bientôt, sera soldat.

         J'ai appris que celui qui est le plus près de Noranda est à North Bay, en Ontario. L'endroit même où j'ai fait mes premiers pas en institution académique. J'ai habité cette ville, assez longtemps pour y faire mes trois premières années d'école au Primaire.


         Au Québec, l'instruction se donne sur quatre niveaux d'éducation : Le Primaire, le Secondaire, le Collégial et l'Universitaire. Les six premières années constituent le Primaire, les cinq années suivantes, le Secondaire. Au Collégial, tout dépend de l'orientation de l'étudiant. On peut y être une, deux, trois années avant de choisir d'arrêter ou de poursuivre les études; si celles-ci sont plus poussées, on se retrouve à l'université.

Beaucoup, aujourd'hui, optent pour ne pas aller au Collégial. Ceux-là seront chômeurs non rémunérés, en attendant la majorité, soit dix-huit ans. À cet âge, on peut soit effectuer un retour en classe rémunéré, soit aborder le marché.  Et l'on s'arrête au Collégial, le marché du travail se profile également à l'horizon.
Me voilà bien avisé, à cette heure. Il me suffira de choisir le moment de m'y présenter et ça, si ce n'est pas pour demain, c'est pour bientôt. Le printemps ne tardera pas à se présenter, le froid s'est levé il y a deux semaines. Peut-être au mois de mai, ou encore au mois de juin. Il fait plus chaud à ce moment de l'année, ç'est mieux pour faire du pouce...
    
C'est à la mi-juin que je me décidé. Mes parents sont partis hier en vacances, je ne sais où; cela me paraît le moment idéal pour mettre les voiles. En deux temps, trois mouvements, j'emplis le havre sac et je ferme la maison. Il est huit heures du matin. À plus tard, les corvées confiées par le paternel, je saurai bien me reprendre au retour du voyage. Je me rend à pied à l'autre bout de la ville, à sa sortie ouest.

Je lève enfin le pouce. Moins d'une heure après, un bon samaritain arrête sa voiture à ma hauteur et me prend à son bord. Nous quittons l'Abitibi, traversons le Témiscamingue et pénétrons bientôt dans la province voisine, l'Ontario. L'homme doit se rendre à Toronto, ce qui fait mon affaire car ce trajet nous amène à la ville de North Bay. Nous venons de quitter l'autoroute 101 et nous empruntons maintenant la 11, l'autoroute qui conduit à cette ville. Le conducteur s'avère moins loquace que je ne le pensais, nous faisons un beau voyage. Il est midi et demi quand nous atteignons North Bay.

À un moment donné, nous croisons la Transcanadienne, l'autoroute 17. Peu après, on se dirige allègrement vers la rue Fisher. Elle conduit à la rue Main, soit la rue Principale, en bon français. L'homme me fait descendre à l'embranchement de ces deux rues et m'indique comment me rendre au centre de recrutement des Forces armées canadiennes, situé à
quelques pâtés de maisons.

Je ne me suis pas précipité dans les bureaux du centre de recrutement. Non, je me suis tout simplement installé devant l'édifice du 373 Main Street. Je ne me souviens sais pas si cette adresse civique correspond à celle connue en 1973 mais toujours est-il que j'ai longuement observé la porte avant de la pousser. J'ai rencontré l'officier recruteur, des questions précises ont fusées de part et d'autre pendant près d'une heure puis je me suis levé, j'ai serré la main du militaire, il m'a remis un paquet de formulaires à compléter et je me suis retrouvé dans la rue, comme tombé des nues... Enfin, un rêve se réalise! D'ici quelques mois, je me retrouve à Saint-Jean-Sur-Richelieu et je franchis les barrières de la base militaire où les Forces forment tous les francophones du pays. Je crois que tous les anglais vont à à la base militaire de Gagetown, au Nouveau-Brunswick.

Je me penche et je dépose le paquet de formulaire sur le trottoir, afin de renouer un lacet d'espadrilles.

"Je peux savoir ce que tu fais ici, Yves?"


Toujours penché sur ma chaussure, je suis figé d'horreur. C'est la voix de papa! Mais qu'est-ce qu'il fout ici, à North Bay, en pleine rue principale. Je réussi à garder mon sang-froid tandis que je me relève et lui fait face.

Maman est accrochée à son bras, radieuse mais avec une pointe d'étonnement dans le regard. Papa me regarde, franchement étonné, lui. Un peu plus et il me dissèque sur place!

"Allô m'man, salut p'pa! Je sors d'une entrevue", dis-je en pointant l'index vers le centre de recrutement.
 

Papa comprend tout de suite. "Ça fait longtemps que ça mijote, cette manigance là?  
- Un peu, oui. Depuis l'année passée, en fait. Et vous? Qu'est-ce qui vous amène à North Bay?
- Nous sommes en vacances, je te rappellerai, garçon. 
- Tu entres dans l'armée? s'écrie maman. Elle fixait la devanture du centre de recrutement depuis quelques longues secondes.
- Oui, "mom" (Le mot "mom" étant un diminutif du mot "mommy" qui lui-même est un diminutif du mot "mother" qui lui, signifie "mère". On prononce "mome").
- Mais tu n'as que dix-sept ans, Yves!
- Et si on signe pour lui, il pourra entrer... 
Papa avait toujours le dernier mot, façon de dire.
- Et je suppose que tous ces papiers sont à compléter, n'est-ce pas?
- Oui, maman. Malheureusement...
Chez-nous, tout ce qui concerne la paperasse, c'est ma mère qui s'en occupe. Que voulez-vous? Elle a eu la chance de recevoir une instruction classique, étant fille de boucher de village. 


- Et toi, garçon? Tu as des projets devant toi?
Il faisait nettement allusion aux tâches qu'il m'avait données à faire, à la maison.

- Tu as des projets, Yves? demande maman.
- Oui, j'ai des grands projets à réaliser, m'man, Je dois corder le bois pour l'hiver prochain. Vrai, p'pa?

- Oui, oui. Tu t'en retourne à Rouyn, j'imagine?
- "Drette-là, papa! (régionalisme : Tout de suite!) Vous autres, vous avez du monde à rencontrer?
- Oui, on a rendez-vous avec Codère et sa femme. Mon ancien "partner", tu te souviens de lui?
- Ton ami électricien, le gars avec qui tu t'étais mis en affaires, quand j'étais bébé? Oui, je me souviens de lui... Toujours à me traiter de morveux.
- En plein dans le mille! rétorque papa. Vas, mon gars, vas! Je te retiens pas... T'as de l'ouvrage à la maison.
- Tu n'étais obligé de me le rappeler, tu sais...

- Je peux avoir mon bec?" fait maman, en s'avançant un peu, le temps de présenter la joue.

Je lui place un beau gros bec au centre de la joue et elle s'éloigne, satisfaite. Tous deux se retournent et me laisse, peinard, pantois, encore surpris par l'apparition soudaine des parents. Ravi aussi d'avoir les papiers en main et de leur avoir appris la nouvelle....


En fin de compte, je me suis retrouvé à la maison au bout de quelques levers de pouce (i.e j'ai fait le trajet North Bay - Rouyn en deux étapes. Les joies de l'auto-stop... ).  La corvée de bois de chauffage enfin terminée, maman ayant complété puis envoyé à la poste la paperasse requise par l'armée, il ne me restait plus qu'à pousser la chaloupe sur le lac, mettre mes lignes à l'eau et attendre l'arrivée d'une réponse officielle de la part des autorités militaires.

Fin août, je recevais enfin des nouvelles. La base militaire de Saint-Jean-Sur-Richelieu m'ouvrait ses portes à la mi-septembre. On m'invitait enfin à me présenter sur la base! Merci mon Dieu! J'ai 17 ans et je me dirige tout droit vers l'aventure! Que vouloir de plus? Sortir de l'Abitibi, c'était déjà bien. Voir le monde, c'était le rêve qui se réalisait!

C'est donc la trente septième semaine de l'année 1974 que j'ai mis les pieds à Saint-Jean. La base se situe à quarante minutes de la ville de Montréal, de l'autre côté du fleuve Saint-Laurent.  Je suis arrivé un dimanche soir, après un long voyage de huit heures trente en autocar. 

Je suis accueilli par des policiers militaire, à la barrière principale. On me dirige vers un bureau aux allures spartiates : Il n'y a dans la pièce que deux chaises et une table. L'officier me dit que je peux m'asseoir, ce à quoi j’obtempère. 

Un soldat entre et s'assoit devant moi. Il ouvre une chemise, dans laquelle vraisemblablement se trouve mon dossier. Plusieurs minutes suivent dans un silence absolu; je commence sérieusement à me poser des questions lorsque le caporal daigne enfin poser le regard sur ma personne et m'adresser la parole. 

"Bienvenue à la base, monsieur Beaulieu. Je ne serai pas long; quelques mots, pas plus. Dans quelques minutes, un soldat va se présenter. Il va vous demander de le suivre jusqu'à votre cubicule, dans les baraquements réservés aux recrues."  Je lève le sourcil droit. Il précise : "Votre aire de repos. 
- Monsieur Beaulieu. Ce soir, vous ferez ce que vous voudrez. Libre à vous de boire à vous saouler, si vous en avez le goût. La bière ne coûte que trente sous. Un fort en coûte cinquante. Mais demain matin à huit heures tapante, vous devrez être debout à côté de votre lit, que vous aurez pris bien soin de faire, avant la venue du sergent. C'est un 22. Une queue plate, si vous voulez. Et croyez-moi, il n'entend pas à rire. Vous comprenez ce que je vous dis?
- Oui sergent.
- Caporal.
- Oui, caporal. Je ne comprend rien à son charabia, au sujet de ce chiffre 22, cette queue plate, mais je sais déjà que je me coucherai tôt... 
- Eh bien, monsieur Beaulieu, une fois encore : Bienvenue! Je vous souhaite bonne chance.
Il n'a pas fini sa phrase qu'on cogne à la porte.
- Entrez!
- Je suis ici pour Yves Beaulieu, caporal. Vous permettez?"
Le caporal hoche de la tête tandis que mon valet se tourne vers moi et m'indique la porte. J’obtempère. J'ai ce vague sentiment que je vais souvent obtempérer, ici. Le soldat me dépasse et rejoint une étagère où se trouve de la literie. Quelques draps blanc, une couverture grise ainsi qu'une taie et un oreiller se retrouvent sur mes bras le temps de le dire. Déjà, le soldat s'éloigne. Je dois me dépêcher pour le rejoindre. "Et ma valise?
- Tu la reprendra tout à l'heure. Je suis pressé, suis moi!"
Je jette un coup d’œil sur l'environnement immédiat et je découvre un mât surmonté d'un drapeau du Canada juste à côté de la guérite des policiers. J'apprendrai plus tard qu'on dit "M.P." pour les distinguer (Miltiray Police). Le drapeau sera mon point de repère. Il n'est pas question que je laisse ma valise à ces messieurs. C'est ma propriété et j'y tiens. Je fini par arriver à la hauteur du jeune soldat. Il force l'allure.
"Est-qu'il y a le feu? Pourquoi aller aussi vite?
- Des questions, des questions, ils posent tous des questions! dit-il, apparemment exacerbé. Puis subitement, il s'arrête, se tourne vers moi et me dit : Écoutes-moi bien, le "flo" (le "jeune" : régionalisme, dialecte local, joual, argot.). Ce soir, j'ai rendez-vous avec une belle pitoune. Je veux pas manquer mon rendez-vous, tu comprends?
- Je comprend, je comprend. Tu es soldat? dis-je, pour changer le sujet de la discussion. 
- Non, je suis un "pouf". Comme toi : Juste un "pouf".
Il me jette un regard en coin.
- Oui, un pouf! Il y a les poufs et les King poufs. Nous, on est des poufs!
- Des King poufs? Je me demande encore dans quel monde de fous j'ai atterri quand il m'empoigne par le collet du cou et me dit, nez contre nez :
- Un King pouf, c'est un gars qui a fait tout le cours de recrue, Beaulieu. Ils ont droit au respect, ils ont traversés toutes les épreuves et maintenant ils sont King Poufs. Quand on parle King pouf, on parle une à deux semaines de la graduation. Toi t'es rien à côté, lui c'est un soldat à cette heure! Kapiche? 
- Oui, oui. Kapiche, kapiche. Lâches-moi, je suis pas du coton...
Le pouf m'a lâché, comme surpris par ma demande.
- Chez nous, un pouf c'est un meuble pour s'étendre les jambes quand t'es assis dans un fauteuil.
- Chez nous aussi, imagines-toi donc! Bon. Voilà les baraques. Viens que je te présente aux autres poufs!








Dans un autre jet : Ottawa, Borden, Toronto.