mercredi 20 janvier 2016

Faire une carrière militaire ne m'intéressait pas, je voulais voir du pays autrement.

suite de Les forces armées canadiennes. Au menu 


Sauf que...

         J'ai vécu les plus belles années de ma vie pendant ce court séjour dans les Forces armées canadiennes. Au milieu des années '70, c'était l'époque des discothèques, j'avais 17 ans et je buvais littéralement la vie, oui je la dévorais des yeux, plein d'envies. Je suis devenu un «King Pouf» au bout de deux mois. À l'arrivée des nouvelles cohortes, ce qui se produisait toutes les semaines - ils arrivent le dimanche -, nous savions que les nouveaux seraient curieux de nous voir aller au pas de course, en uniforme de combat et que secrètement ils nous enviaient d'en être à ce stade de l'instruction militaire. Nous, nous savions ce qui les attendait et nous étions compatissants, pleins de bons sentiments à leur égard. Nous commencions réellement à connaître nos limites morales et physiques, nous nous savions malgré tout plus performants qu'auparavant, aux premiers jours de l'entraînement militaire.

 Après l'entraînement de recrue, soit on vous envoie faire l'apprentissage du métier qui vous a été assigné suite aux résultats obtenus à grands renfort de tests d'aptitudes ou alors, on vous envoie ailleurs dans l'attente du dit cours de métier.  


       Ils m'ont envoyé à Ottawa, la capitale du Canada, un début de mois de mai, pour travailler au QG des forces armées canadiennes, sur le boulevard Rideau.

Je suis bilingue, les tests ont démontrés que j'ai les compétences requises pour les tâches qui me seront dévolues, dans ce cas précis des tâches cléricales qui consisteront à faire le classement des dossiers de promotions, d'après le rang et la profession. 


Du huit heures à seize heures tous les jours, cinq jours par semaine. De midi à treize heures, l'heure du repas, je profite du répit pour découvrir les alentours, le canal Rideau, les badauds et tout le tra la la, quoi! Je loge dans un édifice militaire, réservé au personnel œuvrant au QG, non loin du Musée canadien de la Nature. 

   Trois repas par jour. Le matin, on vous demande ce que vous voulez en terme d'œufs : Des œufs tournés ou miroirs (en anglais : "over easy" ou "sunny side up"). Ensuite vient le jambon cuit, les saucisses ou le bacon. On peut demander à avoir les trois viandes dans son assiette. Puis on dirige le plateau vers les grille-pains géants, on récupère une couple de rôties au passage pour terminer avec les jus, un grand verre de lait ou encore un café bien chaud. J'aimais bien les mercredis, en raison de ce qu'il y avait au menu lors du souper (c'est à dire au dîner si je pense à l'Europe). En effet, ces soirs-là, le "steak" était à l'honneur, les frites également!

"Comment tu le veux ton steak, bleu,saignant, bien cuit?" Saignant, je disais. Toutes les fois.
 
    Je suis reconnu chez moi pour mon amour du bœuf. Le vendredi, en période estivale, on délaissait l'uniforme pour se mettre en veston cravate. Toujours, je me souviendrai de ces midis aux abords du canal Rideau, son allée piétonnière et ses bancs de bois étalés ici et là, sur son parcours. Le sourire des gens, le temps paisible et chaud. Combien de fois aussi, me suis-je promené dans les rues de la capitale, au gré de soirs bleutés. Je ne saurais le dire mais je me souviens encore des rue Spark, Bank et Metcalfe. Un spectacle de Martine Saint-Clair, à la Place de la Confédération. Un restaurant mexicain où on vous servait un pichet d'eau pour débuter. Le YMCA, l'entraînement physique, la piscine...
J'ai travaillé tout un été au QG puis au mois de septembre 1975, je suis transféré à Borden, une base militaire sise à l’ouest de Barrie et juste avant Wasaga Beach, cette dernière localité étant dans les faits une plage connue de tous dans ce coin de l'Ontario.
Beaucoup de métiers sont enseignés à Borden, dont «Pompier de structures et d'aéronefs». Le cours se donne en anglais.

À Saint-Jean-sur Richelieu, à la base des recrues francophones des forces armées canadiennes, afin d'évaluer vos capacités linguistiques en anglais, on commence par vous poser des questions à l'oral. 
     Je suis assis en classe avec mon groupe, le groupe 7437 (74 pour l'année 1974 et 37 pour a 37e semaine de cette même année).
 
Je vois l'enseignante debout devant nous, elle questionne Marc, le gars du Labrador : 
"May I ask your name, sir?" dit-elle, mine de rien.

Et Marc de répondre dans un anglais impeccable :  Bolduc. Marc Bolduc, miz.
  «Miz? Il parle sur le très bien, le monsieur! Il laisse savoir à la gente dame qu'il la croit célibataire et non mariée. On peut dire «Ms» pour jeune femme, ou encore «Miz», pour afficher au grand jour votre éloquence, l'aisance avec laquelle vous parler la langue de Shakespeare.»

 L’enseignante reprend:
"So, You're fluent in English, right?
- Right.

- I guess you do not have to stay here any longer...
- I guess so, too. May I leave now?" rétorque Marc.

C'est alors que j'interviens dans la discussion :

"May I say a word, miss? Et, sans attendre une réponse : As a matter of fact, I do think I can also leave this class. Am I right in assuming this? 
 
Le reste de la classe est pendu à mes lèvres, même le gars du Labrador.
- You may leave... Both of you, leave. Now!" dit-elle, en s'adressant à Marc et à l'auteur de la présente.
En quittant la salle du cours d'anglais, on l'a entendu s'enquérir auprès du groupe : Est-ce qu'il y a d'autres génies de l'anglais dans cette classe?»

-Any other geniuses around? No? Good! Let's get on with it, then!
 
Vous n'avez aucune mais aucune connaissance de la langue anglaise? Le cours s'étend sur six longs mois, à raison de huit heures par jour, cinq jours par semaine. 
Ouf! Je l'ai échappé belle! Oui. Mais cela ne m'a pas vraiment aidé pendant mon cours de pompier.  
J'éprouvais de la difficulté dans mon apprentissage et cela malheureusement se reflétait aux tests. Ma connaissance de l'anglais se révélait moindre et ce n'était pas facile à avaler en tant que nouvelle. Mais j'ai persévéré jusqu'à l'obtention de l'attestation officielle. La réussite du cours me change complètement. Je prends beaucoup d'assurance, je cherche maintenant la compagnie des autres et je me lâche lousse dans les joies de la vie, boisson comprise!
Ah, la belle époque!
Je mange au Pink Elephant, la cafétéria-école de la base, là où vont tous ceux qui veulent devenir cuisiniers et je passe la plupart de mes soirées à lire dans ma chambre spartiate.
    Dès le jeudi soir, je suis au Junior Rank's Mess, à L'Algonquin.
Le bar est invitant, il y a des tables rondes, un grand plancher de danse, une table de billard Boston et les canadiens français ont un coin bien à eux dans cette grande salle qu'est le bar des caporaux et des soldats de Borden. 
 
Nous accaparons les banquettes adossées au mur. Devant elles se trouvent des tables rapprochées les unes des autres, et des chaises occupées par nos fesses quasiment toutes québécoises. Nous y buvons du Mattheus, un vin rosé du Portugal dont nous raffolons tous, étant donné la précarité des bons vins dans ce coin de pays (sur cette base et toutes les autres bases militaires, d'ailleurs). C'est à coups d'iglous, iglous, igloos que nous arrosons nos veillées, au rythme de la musique endiablée du DJ, lui aussi francophone. Saturday Night Fever fait fureur et c'est dans le Disco que nous français du QUÉBEC avons faits nos preuves. C'est bien simple, nous sommes tous des Travolta! Si on se compare avec les gens de l'autre langue, j'ose dire tout bas que les anglais n'ont pas le rythme dans le corps comme nous. Nous sommes latins plus que germaniques, nous l'avons et c'est pourquoi les anglaises se laissent invitées à tour de bras par les Frenchies du Qwebec!
C'est dans cette atmosphère que j'évolue.

Dans une foule de règlements aussi.

  À titre d'exemple, si par mégarde, tu te retrouves sur le trottoir qui mène à la baraque des femmes et qu'on t'y prend sur le fait, la Police Militaire, les MPs ont le droit de te mettre illico en cellule :
 

Tout individu se trouvant sur le trottoir de la baraque des femmes est inculpé de tentative de viol sur la femme.

Si on te surprend à l'intérieur même de la baraque des femmes, automatiquement, c'est une inculpation de viol.

Si une femme se retrouve dans une position similaire, du côté de la baraque des hommes, elle se voit automatiquement inculpée de tentative de suicide. Si on te surprend, toi une femme, à l'intérieur de la baraque des hommes, c'est un suicide et tu as besoin de soins psychiatriques. Bizarre, hein?  
 Ou encore, toujours à Saint-Jean-sur-Richelieu :
 Si nous te prenons à franchir la clôture qui sépare cette base de l'extérieur, soit de la vie civile, tu assumeras les conséquences de ton geste mais si nous ne te prenons pas sur le fait, il n'y aura pas de réprimande à ton retour sur la base. 
De l'autre côté de la clôture, tous le savent il y a un bar avec danseuses : La Clef d'Or, réputés pour ses belles. D'accord. Ces événements se sont produits au milieu des années soixante-dix. Il se peut qu'avec le temps, je me suis mis  à fabuler lorsque j'évoque ma vie militaire; il se peut aussi que j'évoque des «non-dits», des faits ou encore des paroles conviées au silence dans cet univers si particulier. Bah, cela fait plus de vingt-cinq ans et je n'ai plus de promesses à tenir envers les forces depuis belle lurette.
    Je sais toutefois que la vie militaire en général, c'était bien. L'armée voyait à notre subsistance, nous étions hébergés, habillés, rassasiés et payés pour travailler dans nos métiers respectifs. 
Outre les huit heures de travail demandées par l'employeur, le reste de la journée t'appartenait. Tu pouvais retirer l'uniforme de travail vert, le ranger et simplement mettre un jeans et un T-shirt.

Tu pouvais quitter la base et vivre hors de son enceinte, avec le monde civil ou tu pouvais vivre ta vie exclusivement sur la base, avec son Club, ses accommodations sportives, avec tes pairs dans des activités telles le Baseball ou le Hockey. Tu pouvais vivre les deux à la fois. Moi, j'ai préféré vivre hors de la base de Downsview, de l'autre côté des rues Keele et Sheppard, dans le quartier Italien de Toronto.
               Plus tard, à Downsview, dans le nord de Toronto..... La rue Isabella, Yonge et Dundas, le Quartier Chinois...

Relater le traumatisme vécu à la prison de Downsview, l'incarcération, l'accusation saugrenue émise par la S.I.U., le contexte politique, René Lévesque, P.E.T, la purge au sein des forces armées canadiennes. Ces événements d'il y a 40 ans ont profondément marqué ma vie. J'avais 21 ans en 1978, à ma sortie de l'armée, ex-soldat nanti d'un diplôme honorable. En effet, à la cinquième année de carrière militaire, un choix doit être fait : Rester dans l'armée ou en sortir. Si tu restes, tu passes le reste de ta vie dans les forces, sinon c'est un retour à la vie civile. J'ai préféré la vie civile, ils avaient ouvert la porte et le choix, on l'avait fait pour moi. Oui, j'ai été victime d'une purge mais ça c'est une autre histoire...

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