dimanche 9 octobre 2016

Retour au bercail... pour bibi. Pour Bitibi.

Après l'usine de papier photocopieur, j'ai perdu un peu de temps à ne pas trouver du travail, faute de qualifications, faute de persévérance, peut-être les deux. J'ai cherché un emploi décent et à la mesure de mes capacités le temps d'écouler toutes mes prestations d'assurance-chômage - on dit assurance-emploi ces années-ci -soit, presque une année entière, mais en vain. J'ai dû quitter mon logement de la rue Curé-Poirier pour m'accommoder d'une simple chambre Chez Lise, à Chambly.

    C'est ici que je fais connaissance avec l'assistance sociale et l'aide financière de dernier recours, un programme parrainé par le gouvernement du Québec pour aider les moins biens nantis à vivre un peu mieux que s'ils devaient cheminer dans l'itinérance. Je rejoins les rangs des assistés sociaux, le temps d'un hiver. Je passerai la saison morte à faire le rat de bibliothèque à la bibliothèque du quartier.

C'est ici également que je connaîtrai enfin les grands poètes québécois tels Alfred DesRochers, Émile Nelligan, Gaston Miron, Gilles Vigneault, Hector de Saint-Denys Garneau, Félix Leclerc et Anne Hébert, pour ne citer que mes préférés.


 
 
 
 


 
 
 



 
 
 
 
 
 
 

Je vivrai de lecture et de spaguettis au jus de tomates réfrigéré à la fenêtre l'espace de quelques mois d'hiver. La nuit deviendra ma compagne, au silence se mêlera mon souffle; penché sur une feuille blanche avec cette envie de la noircir au plus vite, je resterai de longues heures sans pouvoir écrire quoi que ce soit.

           Je préfère les nuits sans lune à celles éclairées de l'astre, je vis en retrait du monde et je me plais ainsi, conscient du fait que je reprendrai la course à l'emploi dès les premiers jours de la saison printanière. Ces longues heures à lire la poésie de ces personnages ont fait en sorte que je me suis pris à aimer leurs univers respectifs et à envier ces beaux éclats de mots qu'ils jetaient sur le papier à la mêlée. Plongé dans ces mondes, je me souciais peu de ma pauvreté. Les autres chambreurs vaquaient à leurs occupations et me laissait, plus souvent que jamais, tranquille. Au début du mois, ceux-ci étaient bruyants et pleins de vie; ils se visitaient une bière à la main, une cigarette dans l'autre et passaient des soirées longues à discuter de tout et de rien, pour le plaisir de converser. Quinze jours plus tard, la maison de chambres était redevenue silencieuse. Plus personne n'avait d'argent, tous étaient dorénavant dans l'attente du prochain chèque qui arriverait pile au 1er du mois. Je ne buvais pas, aussi mon argent me servait-il à faire une petite épicerie qui me durerait au moins une vingtaine de jours. Après, après seulement venait la canne de jus de tomates et les spaghettis al dente!

Je crois que c'est ici à Longueuil qu'est née l'idée d'un retour éventuel en milieu académique, pour approfondir un peu plus sur le sujet des lettres. Mais ces mois d'hiver, longs et rigoureux m'ont vite rappelé à l'ordre. J'ai mis ce projet de côté et il s'est vite retrouvé aux calendes grecques, le temps d'une bonne neige. Nous sommes à la fin des années soixante-dix, l'Internet ne sera ici qu'en 1995. On fonctionne avec le téléphone fixe et la boîte aux lettres pour tout faire et comme j'ai opté dès la sortie des forces armées canadiennes pour une vie modeste, je suis devenu un adepte de la simplicité volontaire et cela m'arrange énormément de ne pas avoir de téléphone dans ma chambre. Je suis à pied et d'avoir à prendre l'autobus pour me rendre où que ce soit en ville demande des sous. Pas de sous, pas d'autobus. Simple comme bonjour. Il vaut mieux résider près d'un dépanneur ou encore mieux, près d'une épicerie. Le peu de sous qu'il me reste, je garde pour des jours meilleurs. En quête de travail, il faut des sous pour se rendre aux entrevues. Il faut avoir une bonne présentation et une dose d'assurance pour gagner  le job offert.

        Donc, mes journées étaient occupées par une heure de marche quotidienne pour faire l'aller et revenir de la bibliothèque en après-midi. L'avant-midi et le soir, je dormais. La nuit venue, j'allumais la lumière pour lire ce que j'avais rapporté chez-moi le jour même, soit un livre, un magazine d'actualités ou un recueil de poésie.

De temps à autre, je profite de ces heures tardives pour écrire une lettre à un membre de ma famille, maman ou Claude mon jeune frère; de mes trois frères, il est celui avec qui je m'entends le mieux.

Écrire une lettre et la mettre à la poste en 2016 commence à sonner faux. On ne se souviendra plus de ce mode de communication dans vingt ans... Dommage. À l'époque, c'était la façon de maintenir les liens avec sa famille et les amis, on se tournait naturellement vers le papier, l'enveloppe et le timbre.  Je crains la disparition de la Poste. Depuis peu, on a cesser la livraison du courrier à domicile. Nos boîtes de courrier ne servent plus à rien maintenant, nous devons tous marcher pour avoir le courrier que nous avions auparavant à bout de bras..

Ils ont installé ce qu'ils appellent des «Boîtes multiples» aux coins des rues. Je dois prendre mon courrier dans une case, la case numéro douze de la boîte multiple centrale. Je suis content parce ce que je n'ai pas à me pencher beaucoup pour retirer mes lettres et autres de la case postale. Mais il y aura toujours des irréductibles pour remettre la pendule à l'heure, dont l'auteur de la présente. Nous avons perdu un acquis important, une habitude vient de se perdre à jamais, celle de tendre le bras pour avoir son courrier. Ne venez surtout pas me dire d'enlever ma boîte postale du mur de ma maison! Postes Canada n'a qu'à bien se tenir si elle me pose problème! Déjà qu'une épine me blesse cruellement. Et sur ce, je ferme la parenthèse sur le sujet du courrier. Bang! Comme ça! Passons.

Nous sommes à la veille de 1980 et j'écris à maman pour savoir si j'ai toujours un lit qui m'attend à la maison. Je prépare mon retour en Abitibi. Je n'aime pas les grandes villes. Le béton, le bruit. Éviter le regard de l'autre quand on est dans une rame du Métro. La neige qui tourne en gadoue au moindre réchauffement de la température, mieux vaut avoir des bottes de «pines», des bottes de caoutchouc en bon canadien français, pour marcher dans cette... dans cette neige mouillée. Tout coûte cher, tu lâches un pet et tu sors le portefeuilles! Les distances, ah, les distances, c'et une toute autre affaire: Quand tu dis que tu restes un pâté de maisons plus bas, précise à ton invité qui vient de ta région que cela peut prendre une grosse demi-heure pour atteindre l'autre coin du pâté en question. Disons que je suis en France et que j'habite le département Maine et Loire, dans la commune de Chemillé-en-Anjou (le lieu de naissance de l'ancêtre Pierre Hudon dit Beaulieu. Je décide, du jour au lendemain, de m'installer au centre de la ville de Paris. Non. Je suis plus campagnard que citadin et c'est pourquoi je vais me retirer au fond des terres de l'Abitibi. La forêt me fera grand bien, elle m'apaisera, comme elle en a l'habitude. En son sanctuaire, je serai bien c'est certain.

Lorsque je ne suis pas penché sur une lettre, je ne me lasse pas d'écouter les stations radiophoniques de la métropole. Elles sont de toutes les langues et sont palpitantes à entendre. On dirait que la planète entière est en ville! Pendant un certain temps, j'ai jonglé avec cette idée de devenir animateur radio. J'ai même poussé ce projet jusqu'à vouloir m'inscrire à des cours particuliers en radiodiffusion, des cours offerts par l'illustre Roger Baulu, connu comme Barrabas dans la Passion, dans la belle province. Roger Baulu, surnommé le prince des animateurs - un peu comme l'animateur Michel Drucker, en France - animait une émission  de télévision très prisée par les québécois «Les Couche-tard» avec un autre animateur populaire, Jacques Normand.

Monsieur Baulu était une sommité dans le secteur de la radio à Montréal. Il avait œuvré dans le temps, des années trente à soixante, pour les stations CFCF, CKAC et CKVL.

Avec les années, il avait ouvert un bureau de radiodiffusion sur la rue Berri, presque au centre-ville de Montréal. Il suffisait, pour y avoir accès, de prendre le Métro et de débarquer au Terminus, à Berri-de-Montigny (aujourd'hui Berri-UQAM). Je dis que j'ai jonglé avec cette idée car je savais bien que je ne pourrais me permettre l'enseignement de monsieur Baulu. Le cours incluait des cours de diction, la mise en ondes, l'animation d'une émission d'actualités ou de nouvelles et les frais qui se rattachaient à l'apprentissage de toutes ces notions étaient assez élevés, merci. Enfin, pour un assisté-social comme moi.

Et si je ne pouvais réaliser ce rêve, je pouvais au moins songer à une carrière en journalisme. J'aimais les mots. Pourquoi pas? Ce projet devrait un jour se réaliser, à mon grand bonheur. En Abitibi, qui plus est! Mieux encore: Pour la région du Témiscamingue! Mais ça, c'est un autre histoire. Pour l'instant, je suis dans la poésie jusqu'aux oreilles, je mange des spaghettis et je rêve à mon retour à Rouyn, à sept heures de route en autobus. C'est à cela que je songe lorsque je me retrouve dans une rame de Métro ou en autobus de ville. La plupart du temps, quand je pense à l'Abitibi j'oublie que j'ai un sourire sur les traits, durant le trajet. Les gens sourient, ils me rendent la pareille... Et c'est le cœur léger le soir venu, que je reprend la plume. Les poèmes, quant à eux, se manifestent surtout les soirs de neige, pendant les tempêtes. Ma fenêtre, en ces instants, est de givre et je dois apposer les paumes de mes mains sur la vitre pour venir à bout de voir dehors, ne serait-ce que quelques secondes. Je désespère de voir ce qui se trame à l'extérieur et je deviens anxieux. Puis triste. Le poème, alors, se matérialise. Je n'y peux rien, les circonstances elles, y sont pour beaucoup dans ces éclosions...

Je me dis qu'il ne sert à rien de se presser. Je vais déménager dans quelques mois, après les grands froids et tout redeviendra à la normale: Je vais cesser d'écrire des poèmes et de vivre la nuit pour retrouver le marché du travail et gagner ma vie, une vie plus facile que celle vécue ici et maintenant. Le nord-ouest m'attend, c'est le vent qui me le dit, le grand vent du nord, le Nordet. Il me siffle et m'appelle en criant :
«L'Abitibi t'attend, elle t'attend!» 

J'ai le goût de me précipiter dehors et de lui répondre que je ne peux pas tout de suite mais que le temps viendra où je pourrai me remettre en route vers ma chère Témiscabitibi et que ce temps-là ne sera pas long à se pointer mais je me refuse à paraître con devant les autres. Aussi, je reste bien assis sur ma chaise en bois, devant ma table en bois, face à la fenêtre, muet. Cette époque, je la vois surtout comme un intermède dans ma courte vie. 1978, je sors de la vie militaire, 1979 à 1981, je suis à Saint-Hubert, puis à Longueuil et enfin à Chambly. Rouyn s'en vient...

Bibi, signifie Moi. Bitibi, parce que je suis un enfant de l'Abitibi. Mon père  a grandi à Saint-Joseph-de-Cléricy, une localité rurale de l'Abitibi. Bitibi qui deviendra un autre de mes personnages, un de ces jours, je le sais.

Témisca, c'est le nom du personnage principal de la légende du même nom mais c'est aussi le début du nom Témiscamingue. Ma mère est native du village de Nédelec au Témiscamingue, je suis aussi un enfant de cette région.


En fin de compte, je suis né à Haileybury, en Ontario, de parents issus de l'Abitibi et du Témiscamingue, au Québec. Je suis un franco-ontarien de naissance, un québécois de souche et de cœur. Bilingue: Français/Anglais. Français, par défaut. La mère de ma mère est une Boileau et le père de mon père est un Beaulieu, de Saint-Romuald, dont l'ancêtre était de Rivière-Ouelle, au Québec et de Chemillé, en Anjou, France.


Et le Témis me manque autant que la Bit-A-Tibi! J'aurais le goût de faire la fête tout de suite!

  

LE BEAT À TI-BI


Le beat a ti-bi
Anodajay

Album Septentrion

LE BEAT A TI-BI

[Refrain: Raoul Duguay]
Moé j’viens d’l’Abitibi
Moé j’viens d’la Bitt à Ti-Bi
Moé j’viens d’un pays qui est un arbre fort
Moé j’viens d’un pays qui pousse dans le Nord
Moé j’viens d’l’Abitibi
Moé j’viens d’la Bitt à Ti-Bi
Moé j’viens d’un pays qui est d’un lac vert rare
Moé j’viens d’un pays où ce que l’poisson mord

[Verse 1: Anodajay]

J’viens du nord-ouest du Québec pour ceux qui le savent pas
Où est-ce qui fait frette ça 117 à 7 heures dans l’bois
Au Nord, mais d’l’autre bord, où est-ce que l’doré mord
Où se cache le cuivre et l’or, où faut être fort parce que ça fête tard
Où y a des belles dames, des castors, où y a des braves gars
Amos, La Sarre, Val d’or pis Rouyn-Noranda
J’sais qu’ça parle fort de chaque bord depuis que j’rappe à bord
C’parce que j’frappe fort, pis parce que j’mords comme un frapabor
J’viens d’un pays où on développe un instinct animal
Plutôt amical, en général on reste original
Y en a qui le prenne mal, les langues sales me traitent de marginal
Comme si c’t’ait mal de faire du cheval à dos d’orignal
Où les habitants ont l’cœur gros comme leur territoire
Où y a pas juste des mouches noires pis des mineurs qui toussent et mouchent noir
Où y a des lacs verts, pis chaque terre, une histoire
Où après chaque hiver, on est fier de crier Victoire

[Raoul]

En l’an 2006, en Abitibi, dans mon pays Côôôôôôôôôôloniséééé !

[Verse 2: Anodajay]

Moé j’viens d’l’Abitibi
Moé j’viens d’la Bitt à Ti-Bi
Moé j’viens d’un pays qui a un ventre en or
Moé j’viens d’un pays où ce qui neige encore
La nature appelle, tandis les sapins nous apaisent
On se met à l’aise, le mercure baisse on allume la fournaise
Une partie de pêche, une petite caisse
Tandis qu’la glace est épaisse sous la neige
Où y a personne qui se dépêche, où qu’y a pu rien qui presse
Où on se ressource, où on puise nos ressources naturelles
On reste dans Nature, comment veux-tu qu’on reste pas naturel
Où les maringouins se promènent l’hiver avec des casses de poils
Pas besoin d’aller plus loin qu’en arrière pour un sapin d’Noël
J’viens d’la campagne, où y a personne qui nous tanne
Où on s’retrouve autour d’un feu de camp pour un braise et boucane
Où les visages du voisinage portent les paysages
À coup d’hache pis d’courage, à coup d’cœur à l’ouvrage !!!

[Raoul]

Qui avait pas d’chansaw
Qui avait hache et boxsaw
Pis des bras dûrs comme d’la roche
Pis des cuisses comme des troncs d’arbres
Pis du front tout le tout d’la tête
Et qui n’était pas si bête
En l’an 2006, en Abitibi, dans mon pays Côôôôôôôôôôloniséééé !



La chanson originale:

La Bit-A-Tibi

Raoul Duguay

Moé j'viens d' l'Abitibi
Moé j'viens d' la Bitt à Tibi
Moé j'viens d'un pays
Qui'est un arbre fort
Moé j'viens d'un pays
Qui pousse dans le Nord

Dans ce pays qui était comme neuf
Le treize février mille neuf cent trente-neuf
J'sus né à Val d'Or en Abitibi
Dans ce pays qui est encore tout neuf
J'avions connu Ernest Turcotte
Qui vivait entre de beaux bois ronds
Qui parlait aux âbres et aux taons
Qui chaque matin chaussait ses bottes
Pour aller comme Ti-Jos Hébert
Fendre la fôret avec ses nerfs

Qui avait pas de chain saw
Qui avait hache et bôxa
Pis des bras durs comme la roche
Pis des cuisses comme des troncs d'âbe
Pis du front tout l'tour d'la tête
Pis qui n'était pas si bête

En mille neuf cent dix
En Abitibi
Dans mon pays
Côôôôôôôôôôôôôôôôôôôôlônisé

Moé j'viens d'l'Abitibi
Moé j'viens d'la Bit à Tibi
Moé j'viens d'un pays
Qui a un ventre en or
Moé j'viens d'un pays
Oùsque l'poisson mord

Quand j'étions petit j'allions jouer aux bois
Avec les épinettes et les bouleaux
J'aimions gazouiller avec les oiseaux
Quand j'étions petit je suivions le ruisseau
Je jouais de l'Harricana
Sur la rivière Harmonica
J'orgordions passer les gros chars
Sur ma p'tite cenne qui v'nait en or
Dans un banc de neige
Creusais maison
Et dans la glace j'écrivais ton nom

Et l'hiver à l'aréna
On patinait tout en tas
L'été près du lac Blouin
On faisait semblant de rien
On ramassait des beuluets
Qu'on vendait pour presque rien

En mille neuf cent queques
En Abitibi
Dans mon pays
Côôôôôôôôôôôôôôôôôôôôlônisé

Moé j'viens d'l'Abitibi
Moé j'viens d'la Bitt à Tibi
Moé j'viens d'un pays
Qui a un ventre en or
Moi j'viens d'un pays
Oùsque il neige encôre

Dans mon pays qu'on dit hors de la carte
Mon oncle Edmond travaillait sous la terre
Mais il creusait dans l'or sa propre mort
Mon oncle Edmond nous a mis sur la carte

Dans mon pays qui a grandi
Il paraît qu'aux tout premiers temps
On y gagnait beaucoup d'argent
Y a de l'or en barres qui dort ici
Y a même des poignées de porte en or
En cuivre en fer qui vont de l'autre bord

J'aimions jouer dans la fanfare
Pour épater tout les pétards
Quand j'allais en haut d'Château-Inn
Boire et rire avec mes piastres
J'orvenions cômptant les astres
Au p'tit matin près de la mine

En mille neuf cent tout
En Abitibi
Dans mon pays
Côôôôôôôôôôôôôôôôôôôôlônisé
À li-bé-rer
 
 
 
 
 
 
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Source: http://membres.lycos.fr/folklyrics/raoul/bitt.html




 

dimanche 4 septembre 2016

De vies éteintes et de croix sur la route.

       À l'époque, il y a quarante ans, nous conduisions à 120 milles à l'heure (190 k/h) sur les routes de l'Abitibi-Témiscamingue, une région disons, encore peu peuplée par la gente policière.
 
On se donnait un coup de téléphone et on savait tout de suite où se trouvaient les patrouilleurs de la Sûreté du Québec. Quand ceux-ci étaient dans le secteur de la ville de Val-D'or, nous pouvions rouler en toute liberté dans l'autre direction, une bonne bouteille de bière entre les cuisses, bien assit derrière le «steering», la ceinture de sécurité bien remisée à sa place, c'est à dire sur le côté du siège ou tout au fond de ce dernier puisqu'elle n'avait semble-t'il, pas d'utilité. J'évoque cette ceinture mais dans le temps, je ne pensais même pas à me croiser le torse avec cette protection, tant je pensais être en sécurité. Il n'était pas rare aussi de rencontrer deux gars en train de jaser sur le côté de la route, appuyés tous deux contre leurs voitures, parfois même stationnaires au centre de la route, une bière dans la main, une cigarette dans l'autre, les moteurs qui tournent tranquillement.
 
             Si on avait une décapotable, c'était le summum: Un été de rêve nous attendait sur la route, la musique à fond, le pied sur la pédale et les cheveux au vent! On se voisinait d'une ville à l'autre quand ce n'était pas en campagne, quelque part au nord de La Sarre ou encore un coin isolé, comme Belleterre, au Témiscamingue. Les bars pullulaient et la bière canadienne, réputée pour sa saveur mais surtout pour son taux d'alcool élevé, faisaient rêver les américains, de l'autre côté de la frontière. Quand ils n'en pouvaient plus, ils traversaient pour venir boire un coup mémorable.
 
                Il faut dire qu'en Ontario, les bars ferment à 01h00 du matin. Au Québec, c'est à 3 heures qu'ils procèdent à la fermeture des lieux. Trois heures pile et les lumières s'allument. Au Québec, le meilleur endroit, pour un consommateur anglophone, c'est Ottawa en Ontario et Gatineau, au Québec. Tu bois jusqu'à une heure du matin en Ontario, tu traverses le pont et tu termines la soirée à Gatineau, où tu veilles jusqu'à trois heure du mat! N'est-ce pas merveilleux? Généralement, la clef est dans la porte à 3h30 et tous se précipitent aux restos pour conclure la soirée sur une bonne note.
 
Je dis généralement parce que jadis, on assistait à la fermeture de l'intérieur de l'établissement, sans sortir visiter le trottoir. Pourquoi? Mais pour continuer la veillée, joual vert! On les rencontrait de temps à autre, en terrre témiscabitibienne, ces bon vieux américains. Dans nos forêts comme sur nos lacs. Toujours affables et souriants, ces amerlots!
 
L'Abitibi et le Témis, comme on dit ici, couvrent une superficie de 65 000 kilomètres sur laquelle 146 000 individus vivent, une population répartie sur l'ensemble de ce vaste territoire. Les cinq principales villes de la région sont localisées à équidistance : Si je suis à Rouyn-Noranda, je suis au centre de toutes ces municipalités. On peut rejoindre chacunes d'elles en un peu plus d'une heure de route, cela à 90 km heure.

Oui, il y avait peu ou pas d'accident routiers, on conduisait en toute lucidité la plupart du temps et c'était bien ainsi, malgré nos folleries. Aujourd'hui, en 2016, c'est la sécurité avant tout, Dieu merci! La population a fortement augmentée ces dernières années, en raison du développement minier surtout mais aussi parce qu'elle attire de plus en plus de villégiateurs. 
 
Un flot constant de voitures parcourent l'asphalte grise et nous devons avoir des yeux tout le tour de la tête pour voyager. Dorénavant, l'autre est devenu celui dont il faut se méfier, qu'il soit devant nous ou à l'arrière de la voiture. S'agit-il d'un suicidaire, d'un gars pressé par le temps ou de quelqu'un qui s'apprête à faire violence? Sais pas. Je sais juste qu'il faut que je me «watch» en maudit pour rester en vie. Chaque jour que le Bon Dieu apporte sur cette Terre, je dois faire trente minutes de route. Cela ne me tue pas encore mais ça me trottte quand même un peu pas mal dans la tête, cette idée de rencontre fatale.

 

Donc, je  quitte la sécurité de la ville à 07h40 et j'emprunte la route 117, la Transcanadienne, pour être précis. Chaque matin et chaque soir à 17h00, je guette celle ou celui qui fera une gaffe majeure. Puis, je remercie le Bon Dieu de ne pas en avoir croiser jusqu'à cette heure. J'avoue tout de go, cher lecteur, qu'aujourd'hui je porte  scrupuleusement la ceinture de sécurité et que je n'ai plus de bière entre les cuisses depuis belle lurette. Je n'ai pas de décapotable et encore moins, de cheveux.
Non, non, non. Ne pas oublier que des fous, des imbéciles et des invincibles sillonnent maintenant les routes de cette belle région. En fait, ce phénomème se reproduit partout au Québec. Il y a longtemps que les ontariens nous prennent pour des fous quand nous sommes sur leurs routes. À juste raison : "I do understand them.». Je les comprends. La situation est à ce point devenue dangereuse que la Sûreté du Québec est partout désormais, les patrouilles suffisamment visibles, appuyées par des campagnes de sensibilisation fortes et bien senties auprès des citoyens, sécurisent mieux nos routes.  

Tant mieux, c'était vraiment devenu nécessaire d'assurer une vigilance constante. Comme un parent, avec ses enfants, à titre d'exemple.

       Il n'est pas rare de se voir dépasser par un con sur une ligne double jaune, ce qui est toujours un gros «Non-Non» pour la majorité des conducteurs québécois, heureusement. On voit des jeunes qui calculent mal le temps qu'ils ont pour effectuer un dépassement; ils se risquent avec aisance et commettent ainsi la vie de leurs passagers. Tout cela sur l'implusion de prendre une petite chance, puisqu'une longue vie se dresse devant eux, pensent-ils.

Moi, ma vie est devenue courte avec le temps. Je suis à la veille de garer ma voiture à la maison, en permanence. Je n'aurai bientôt plus à risquer ma vie pour me rendre au travail et c'est avec le sourire que j'y pense. Je souhaite seulement que la route «117» ne soit plus la route «Sang-17». On pourrait presque dire «Cent décès»... Il y a déjà trop de croix qui jalonnent les côtés de nos routes, il y a déjà trop de vies éteintes...


















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Voir ce vidéo pour mieux comprendre ce dont je parle, ces dépassements et tout et tout :


De plus, ça donne l'occasion de voir le paysage abitibien!
 
 
 
 
 
 
 
 



 

vendredi 26 août 2016

Après les forces armées, l'autre vie.

        Je me retrouve donc à Rouyn à ma sortie des forces armées canadiennes, sans le sous. Je suis de retour au lac Beauchastel, à la maison. Mon père travaille toujours à la mine Noranda et ma mère est maintenant rentière.

Le temps d'un été, je me fais à l'idée de la vie civile, au fil des jours passés sur le plan d'eau, à pêcher des heures longues à la ligne morte. Papa me donne un tas de bois à fendre, je le fend le matin et l'après-midi c'est le lac.

Lorsque le temps est ennuagé et gris, il m'arrive de me servir du canoë, dans l'unique but de pagayer sous le vent et s'il le faut absolument, sous la pluie. J'aime les éléments et parfois je voyage ainsi, les yeux fermés, le regard tourné au ciel, un sourire béat sur les traits; c'est emporté par le souffle de l'orage que je glisse sur les vagues.  La tourmente ne m.effraie pas, je prend plaisir à subir ses coups et ses contrecoups.
Mais quand des moutons apparaissent aux faîtes des vagues et que le vent se met à vouloir hurler, je me permet alors d'ouvrir les yeux pour me rapprocher de la côte, l'aviron sous le bras, planté dans l'eau à l'arrière et c'est souvent de cette manière que j'arrive sur une grève sablonneuse sinon une baie peu profonde où des herbes hautes ralentissent ma course pour me stopper complètement.

      Puis, la fougue reprend, je pousse l'embarcation et je m'y glisse comme je le faisait autrefois, avec agilité et souplesse. Je suis prêt à l'effort, mes muscles se tendent et je me propulse enfin sur l'eau. De biais au vent, je traverse l'étendue du lac et je rejoins l'autre côté, le côté vierge, celui qui est dépourvu d'habitations,. Je sais que lorsque je serai de ce côté, je ne sentirai plus le vent, il y aura peu ou pas de vagues à cet endroit.

La forêt ici, me protège car grâce au rempart qu'elle m'offre, je me faufile jusqu'à être en face de la demeure familiale.

Il s'est écoulé deux bonne heures depuis mon départ. Une dernière fois mais cette fois-ci avec le vent dans le dos, je quitte le couvert de la forêt et je file le plus droit possible vers le quai, ce point noir là-bas qui semble me narguer... Je prend peur au milieu du lac, là où le vent frappe de plein fouet, là où il est le plus fort. L'expérience revient peu à peu, elle me dicte de rester calme. Je m'habitue à cette force naturelle et je me plie bientôt à sa volonté, à présent sûr de me rendre au pont noir, entrevu tout à l'heure, entre deux bordées de pluie. Et c'est à force de guider le canoë  avec la pagaie que je finis par accoster au quai.

J'aperçois la maison. Je ressens déjà sa chaleur sur moi, je me vois debout devant la cuisinière à bois, à me frotter les mains juste au-dessus de sa masse tandis que maman s'en va quérir une serviette longue afin que je puisse me sécher tranquillement....

Nous sommes à la fin de l'été de 1979. Je ne le sais pas encore mais je vais quitter l'Abitibi. Un autre hiver et je me retrouverai à Saint-Hubert, à la base des forces armées canadiennes, là où Claude, mon frère, travaille. Je suis le premier des quatre frères a avoir quitté les rangs de l'armée. Frérot est mécanicien et soldat tout comme moi je l'étais. Il en va de même pour Richard.

Daniel, quant à lui, est celui qui a fait le premier pas. Il s'est engagé avant nous, pour rejoindre le Royal 22e Régiment canadien français, à Val-Cartier, non loin de la ville de Québec. C'est le seul de nous quatre qui a choisi cette orientation. Je pense que de nous tous, il était le plus en forme. Il est vrai qu'il est le seul à s'être levé tous les samedis matins, pendant des années, pour aller jouer des parties de hockey. Plus tard, dans l'armée, il s'est révélé un excellent gardien de but. J'ai su tout cela par ses amis, non pas de sa bouche. Peu loquace sur ses faits d'armes et ses exploits, mon frère.

J'ai laissé passé l'hiver suivant, j'ai pris l'autobus pour Montréal et je me suis retrouvé sur la rive-sud, dans le vieux Longueuil d'abord puis chez Claude, à la base des forces armées canadiennes de Saint-Hubert. Après quelques années dans le militaire, la liberté d'action augmente; on nous laisse choisir de vivre sur la base ou hors base. Claude avait choisi de rester sur la base, ce faisant, on lui avait remis la clef d'une grande chambre dans le quartier des non officiers.

De cette chambre, j'ai exploré les environs et les centres d'emplois, surtout. Je cherchais un travail manuel, sans plus. Recommencer sa vie n'est pas chose aisée mais je suis de l'espèce humaine et à cet égard, je me compare à un caméléon : Je m'adapte rapidement à un nouvel environnement. Certes, je ne change pas de couleur mais je me retrouve vite à l'aise en territoire inconnu.

Les journaux locaux demeurent une bonne source d'informations à cette époque. Mais c'est au centre d'emplois fédéral que je finis par découvrir un job, après trois semaines de démarches infructueuses. Ils ont besoin d'un préposé à l'entretien dans une usine de Boucherville, au nord de Longueuil. En autobus, celui représente une heure et demie de trajet. En taxi, quinze minutes. Je n'ai pas les moyens de m'offrir un taxi et je me souviens encore de l'heure de ma rencontre avec le superviseur de la production: 15h30. Un peu tard pour une entrevue peut-être mais je suis là et bien là, en mode attaque silencieuse, prêt à toute éventualité.

«As-tu fait du temps?
- Vous voulez dire, en prison? Non, j'ai pas eu à connaître ça.
- Sérieux?
- Sérieux.
- Comme ça, tu sors de l'armée! De quel endroit, au juste? Il avait commencé la lecture du CV.
- De Toronto. La base de Downsview, dans le nord de la ville...
- Ah, bon? Et tu y faisais quoi?
- En tous les cas, pas la guerre! Ah, ah, ah!»
Mon interlocuteur reste de marbre. Je me reprend:
«Pompier. J'étais pompier de structures et d'aéronefs là-bas. Mais j'ai refusé de signer pour faire carrière. Après cinq années, il faut faire un choix. J'ai choisi de retourner au Civil. On a bien voulu me décerner un certificat de libération honorable pour la circonstance et me voici aujourd'hui, en face de vous, à attendre que vous me disiez ce que j'aurai à faire, demain matin.»

L'homme a les sourcils arqués à l'extrême, il me regarde, épouvanté.

«Eh! Wôh, mon Bidou! J'ai pas encore aborder le sujet que le sujet se met à aller de l'avant, lui! T'es vite en affaires, toi! Bon. Sérieux. Oui, j'ai besoin de quelqu'un pour tenir mon usine propre. J'ai quarante heures d'ouvrage pour toi si tu me dis que t'es capable d'être ici tous les matins, à huit heure. Autrement...
- Pas de problème pour huit heures. Je vais être au poste, craignez pas!
- O.K. C'est un deal. Je te veux ici demain, huit heures pile.
- Je vous remercie beaucoup! Merci, monsieur!»

Un mois plus tard, je disais merci à Claude pour son hospitalité et j'emménageais dans un grand trois pièces et demi meublé sur le boulevard Curé-Poirier, à Longueuil. Nous allons continuer à nous visiter, j'irai souvent le rejoindre au club des sous-officier de la base, pour y boire une bonne bière autour d'une table de billard Boston.

C'est à peu près à cette époque de ma vie d'homme d'entretien que la direction de Cancoat Papers m'offre de travailler au service de la Réception/Expédition. Le «Shipper» a mis les voiles m'a t'on dit.

«Il faut que tu prépares les commandes de papier photocopieur. Il y a tant de palettes à envoyer à Toronto et tant à expédier aux États-Unis. Tu es familier avec un camion à fourchettes? J'ai fait signe que oui même si ce n'était pas du tout le cas. Il poursuit:
- On a des camions à pinces aussi...
- Ah oui?
- Oui. Ils servent à transporter nos rouleaux de papier vers les machines à découper.
- J'apprendrai...
- À t'en servir? T'as besoin d'apprendre vite: Nous devrions recevoir tout un camion-remorque de rouleaux après-demain.
- On parle de nouvelles responsabilités, là...
- Je te donne deux piastres de l'heure de plus. Si tu fais l'affaire, on peut se reparler. Tu es d'accord?»

J'ai répondu par l'affirmative. Le lendemain, j'ai pris connaissance de la liste des transporteurs utilisés par la compagnie et j'ai convenu de rendez-vous avec ces messieurs les représentants sur route. Ils m'expliqueraient le fonctionnement de ce secteur qu'est le domaine du transport, la logistique à appliquer dans telle ou telle circonstance et pour tel ou tel envoi précis, toute la poutine, quoi! Il m'a fallu apprendre à conduire les deux types de camion en un temps deux mouvements. À force de vider et de remplir les boîtes des camions-tracteurs qui s'amenaient, des boîtes de 53 pieds (seize mètres et demi) la plupart du temps, j'ai appris les manœuvres sur le tas. Heureusement, il n'y eu pas eu de bris de machinerie ni de boîtes au fil des semaines qui suivirent et j'ai pu ajouter cette corde à mon arc sur mon CV. L'entreprise avait le vent dans les voiles et ses exportations gagnaient en importance. Je ne compte plus les heures passées à réceptionner des matériaux et à en envoyer partout dans le monde, c'est à dire au Maroc et en Algérie, surtout. J'ai mis un peu plus de temps à saisir les rouages de la logistique internationale mais une fois cet obstacle surpassé, une routine s'est établie. Je faisais des heures supplémentaires en masse, tellement qu'à un certain moment, il m'a fallu apporter un sac-de couchage, un oreiller et un lit de camp acheté dans un surplus d'armée local pour venir à bout de faire rouler le service Réception/Expédition. Mais j'étais célibataire et j'étais disponible pour la tâche. Au bout de six à ce rythme d'enfer toutefois, j'ai fini par pendre de la langue et j'ai laissé entendre au patron qu'il se pourrait qu'il ait à me trouver un remplaçant. J'avouais être à bout de souffle.

«Donnez-moi de l'aide et je pourrai garder le cap, c'est tout.
- Non, Yves. Tu vas plutôt prendre un des gars de la Production et tu vas le former à tes tâches. Une fois qu'il est prêt à prendre la relève, toi tu t'en viens au service de la Production.
- Au service de la Production? Es-tu malade? (Oui, je suis lié à ce point à mon directeur général.)
- C'est pour mon équipe du soir. Les gars ont perdu Guy pour un bout, je le crains et il me faut quelqu'un qui soit à l'aise avec eux. Je t'ai vu aller pendant la pause, quand la Cantine est sur place. Ils te fileraient tous leurs chemises, s'ils le pouvaient. C'était vrai, j'étais de bonne entente avec tous... Camille a remarqué le haussement de mon sourcil droit. Tu as une question?
- Oui. Je suis d'accord pour le transfert vers la Production mais avant de me placer superviseur, je veux pouvoir travailler sur la ligne de production, avec les gars.
- Pourquoi tu ferais cela? T'as pas à te mettre à leur place, je comprends pas, là.
C'était son côté européen qui prenait le dessus, ça se voyait.
- Justement. Je veux savoir de quoi il retourne. Si je suis pour questionner les manœuvres, il vaut mieux que je connaisse les tenants et aboutissants de la fonction occupée!
- Monsieur est un gros liseux (lecteur)!
- Oui et puis, pas rien qu'un peu! J'espère que cela ne te dérange pas (Sérieux, je fabule ici.).
- O.k. On s'enligne comme ça. Tu choisis ton homme pour te remplacer, tu l'emmènes à la Réception/Expédition, tu lui montres tout ce qu'il y a à connaître sur le job. Il te remplace et tu pars travailler sur le quart de soir, avec Bastien et les autres.
- Le temps que je sache combien de rouleaux de papiers photocopieurs sont produits actuellement et...
- Douze cent aux huit heures.
- Bon. Et bien, je te dis salut, Camille. Faut que j'aille travailler, en attendant de passer à la prochaine étape.
- Oui, c'est ça, dit Camille, de retour, déjà, à la paperasse encombrante qui traîne sur son bureau. Avant la prochaine étape»...

        Je suis allé sur la ligne de production et après un bout de temps avec les gars, j'ai pris la relève en tant que superviseur du département. Donald ferait l'affaire à la Réception/Expédition. C'était un ancien camionneur, de ceux qui font beaucoup de route, de la «longue distance». Il avait voulu se retrouver en famille et il s'était retrouvé ici à Boucherville, dans une usine de papier photocopieur. Moi, j'ai pris plaisir à travailler avec les gars de la Production. C'était un bon groupe de personnes et il était facile de vivre avec eux dans cet environnement. Une fois la production journalière atteinte, je laissais l'équipe partir et je poinçonnais leurs cartes à minuit pile. Parfois, je finissais la veillée en compagnon de Donald et j'aidais à charger et à décharger les camions-remorques.

Ainsi, j'empochais de belles paies régulièrement, le patron était content et les gars aussi! Mais cela ne dura pas. Un jour, Camille m'a fait venir dans son bureau et il m'a annoncé tout bonnement qu'il quittait la compagnie pour de meilleurs cieux, qu'un remplaçant arriverait la semaine suivant d'Algérie pour prendre les rênes à titre de directeur-général et que je serais appeler le nouveau cadre dans sa fonction. Ce dernier se révéla un bourreau de travail plutôt avare de paroles mais toujours à demander une hausse des quotas de production.

Au début, ce fut une joie de rendre le service d'augmenter la production car tous étaient d'accord pour faire du temps supplémentaire. Six mois après, c'était la dégringolade.
Les gars tombaient malades et n'étaient pas remplacés, d'autres quittaient sans dire un mot.
Ceux-là étaient remplacés avec l'assentiment de l'Algérien, à cette condition que je ne pouvais procéder à l'embauche d'anciens détenus; un jour par contre, fatigué de perdre mes gars, j'ai dis oui à un ancien détenu et jamais je n'ai regretté d'avoir outrepasser la consigne du patron. Ce fut un de mes meilleurs opérateurs de machine à couper!

Le patron continuait à me mettre de la pression pour augmenter la production annuelle. Les clients, disait-il, ne peuvent pas attendre. Il faut produire, produire et produire!

Une rencontre avec le collègue qui supervise l'équipe de jour nous amène à nous poser des questions sur les motivations réelles du nouveau patron. Il veut hausser la production, il ne prévoit pas de remplacement de personnel et parle même de diminuer le temps supplémentaire effectués par les hommes pour rejoindre l'objectif visé par la compagnie De plus, il laisse entendre que si nous ne rejoignons pas les prévisions souhaitées il se peut qu'une décision finale survienne :  Une fermeture!

Une réunion avec le directeur-général a suivi cette discussion. D'un commun accord, nous avons tous les deux convenus de faire une demande d'ajout de personnel afin de palier au plus pressant.

Nos hommes risquaient à tout moment de rompre l'ardeur qu'il mettaient au travail, fatigués qu'ils étaient de faire des heures supplémentaires. Certains se plaignaient même de ne plus voir leurs familles et menaçaient presque de claquer la porte. La plupart se résignait à leur sort mais il était évident que cela aussi changerait si la situation persistait à se dégrader ainsi.

Nous avons essuyer un refus catégorique. La compagnie ne pouvait se permettre d'augmenter les effectifs à court terme et il n'était donc pas question de budgéter de main-d'œuvre, point à la ligne.

Débinés, nous sommes sortis du bureau du directeur sans dire un mot de plus. Il fallait faire quelque chose pour nous sortir de cette impasse avec l'administration. Le surlendemain, nous avons réunis les gars des deux équipes, un résumé de la rencontre patronale plus tard, nous recevions le mandat de présenter notre cause à un représentant syndical. Wow!

Que s'est-il produit après? La compagnie a fermé boutique! Oui. Nous nous sommes tous retrouvés sans emploi, du jour au lendemain. Je n'ai pas eu droit à l'assurance-emploi, étant l'instigateur de la démarche syndicale et parce que l'employeur n'a jamais permis le retour de ses employés, ceux-ci ont tous eu la même réponse: Nada. Niet. Je me suis donc résigné à me présenter à l'Aide Sociale, une aide financière de dernier recours si on le dit de façon polie... Le gouvernement québécois alloue un montant fixe mensuellement, suffisant pour subvenir aux besoins des personnes aux prises avec des difficultés financières. Le hic, c'est que je ne me suis pas résigné tout de suite à rejoindre les rangs des assistés sociaux, j'ai attendu un peu trop longtemps avant de faire le pas et je me suis mis carrément dans une belle merde avec tout le monde. Je parle ici des fournisseurs de services, à commencer par celui du logement puis les services d'électricité et de chauffage, le téléphone, etc. Loin de m'aider, je nuisais à mon avenir. Bof!

Quand on est jeune, on fini par apprendre à ses dépens. Quand même bien quelqu'un s'avancerait pour éclairer ta lanterne au sujet de ce que tu es en train de vivre...

Je suis sans le sous et je peine à me sortir de ce bourbier. Je garde l'espoir et c'est qui me pousse à me rendre presque tous les jours au centre local d'emplois, pour voir les offres et rester aux aguets d'une bonne «fiole», du job de rêve. À présent que je n'ai plus les moyens de voyager en autobus, j'arpente les rues à pied.
«Eh! Yves! Qu'est ce que tu fais sur ma rue? T'es venu me voir?»

Le temps de lever les yeux, je reconnais le visage familier de Ghislain, le gars que j'ai embauché malgré la consigne, cet ancien détenu devenu mon meilleur opérateur. «Ghislain! Salut, mon gars! Tu dis que je suis sur ta rue, tu habites le quartier?
- Oui! Ici même, dit-il, en pointant l'index vers un six-logements beige, à deux pas de nous. Et bien, tu parles d'une belle rencontre. Viens!
- Où ça?
- Chez-nous, voyons! Faut que je te présente à Carole, ma femme. Tu vas voir, elle sait recevoir son monde, crains pas.
- J'ai pas de crainte du tout mais je veux surtout pas m'imposer chez toi, là!
- Arrête ou je te bats.», réplique Ghislain, tout souriant.

        Ce jour-là, je suis resté pour le souper. On m'a offert une assiette pleine à ras bord de pommes de terres pilées, avec pour compagnes, deux grosses tranches d'un magnifique jambon et des carottes!

Carole et Ghislain, je vous remercie beaucoup pour ce bon repas. J'ai puisé dans votre geste la force de continuer la lutte pour la survie, votre humanité me touche énormément. Dans l'adversité, j'ai rencontré de bonnes et honnêtes gens; de cela, je me souviendrai toujours.

Une autre page de ma vie débute, je retourne bientôt en Abitibi-Témiscamingue...





 

mercredi 20 juillet 2016

Les Fifties et les Fifties, pas grande la différence

     Je suis un enfant des années cinquante et j'ai 50 ans et quelques... Je suis né en même temps que la compagnie de catsup Heins, en 1957, et je vis aujourd'hui dans les techonologies de l'information des années 2000. Le Net, le magazine «Branchez-vous!», le Wifi, le Wii.

Autrement dit, j'ai vécu mon enfance pendant que la Révolution tranquille se produisait ou était sur le point d'éclore :  Avec l'Église jusqu'à l'adolescence et sans l'Église depuis. Encore un peu pratiquant toutefois, je participe toujours aux grands événements religieux. Je ne fais plus le Carême mais j'assiste aux messes de Pâques, une année sur deux. La messe de minuit, autant que possible. Mais je demeure fermement croyant en Dieu et c'est pourquoi je véhicule à cet âge avancé mais encore jeune - selon les normes du troisième âge - des valeurs mises de l'avant dans la sainte Bible, apprises de mes parents d'abord et ensuite retenues au Séminaire Saint-Michel.

Lorsque je me lève, c'est avec le sourire. Je me sens jeune malgré une calvitie prononcée et des rides naissants. Mon pas demeure alerte et vif en forêt comme en ville. L'an prochain, j'aurai atteint la soixantaine. L'asthme que je traîne depuis l'enfance se manifeste un peu plus ces dernières années; le souffle est plus court mais il ne m'empêche pas de marcher normalement, à une cadence qui ne cède pas à l'essouflement. Mais je serais bien incapable aujourd'hui de nager le quart d'une longueur de piscine, je dois bien l'avouer...

J'ai vécu dans l'électricité contrairement à mes grands-parents qui eux, ont dû vivre une bonne partie de leur vie à la lumière d'une chandelle avant de voir apparaître cette merveilleuse invention.
Puis, le téléphone est venu agrémenter la vie que nous menions bien tranquillement; désormais, l'isolement serait moindre dans notre société, un fil nous relierait tous.

La radio, sur de longues années, à faire entendre les voix des Compagnons de la Chanson, le rendez-vous radiophonique des fins de semaine pour la majortié d'entre nous, québécois.

Je chéri ce souvenir, un sourire peiné sur les traits mais je souris tout de même car ils savaient nous faire rire ces mesdames et ces messieurs. Ils maniaient le micro tels des pros et nous menaient en bateau le temps de quelques heures, plus souvent que jamais dans un fou rire!

C'est aussi dans les années cinquantes que nous avons appris à nous tenir immobiles des soirées longues devant le petit écran, d'abord en noir et blanc puis en couleur au milieu des années soixante. L'Exposition universelle «Terre  des Hommes» en 1967. L'année où ma petite soeur est née...

Jeunesse d'Aujourd'hui, cette émission de variétés musicales présenté par Joel Denis, Pierre Lalonde et cie. Les Baronets, avec René Angélil, vous savez, le mari de la talentueuse chanteuse Céline. La série télévisée Bonanza, Star Trek, Pépino, tiens! Les ours mal léchés, les Pierres à feu, les Cadets de la forêt, D'Iberville, Bobino, la Boîte à Surprises, Marie Quatre Poches, Sol et Gobelet, les Cyniques, Yvon Deschanps, Rue des Pignons, Les Pays d'en Haut, Daniel Boone et toutes ces autres émissions qui ont meublés nos soirées, que de beaux souvenirs!

        «Sur un Dinosaure» de Jacques Michel, un abitibien pure laine. Nord-américains, nous avions facilement accès à la culture musicale anglophone, américaine surtout. Quand ce n'était pas Michel Louvain, on pouvait aussi bien se ramasser à écouter du Janis Japlin, du Paul Anka ou les Bee Gees.

Des années '60 où la scène musicale québécoise connaissait une gloire certaine, aux années '70, où les groupes musicaux ont proliférés à outrance en sol américain, culminant avec Woodstock et les hippies, le Peace and Love, ces années ont été les miennes. Le Viêt Nam. L'anti-guerre, le pacifisme, l'amour pour décrier la violence. Nous avons tous été happés par des dixaines de nouveaux artistes. La musique subitement était partout, à la radio comme à la télé. Une époque de cabarets, de chansonniers fait place à l'ère des discothèques.

J'essaie ici de compter le nombre d'établissements hôteliers qu'il y a, à Rouyn comme à Noranda, dans les années '70 et tout ce que je peux dire c'est que je n'arrivais pas à faire la tournée complètes des bars des villes soeurs et ce, même s'il m'arrivait de commencer ma fin de semaine, un vendredi midi!

1964. Il y avait à Rouyn-Noranda, sur la rue Principale, sur la «Main» comme on dit ici, une échoppe que l'on appelait la shoppe à Bissonnette.
Tu entrais dans son magasin et tout de suite l'odeur du cuir te prenait au nez, suivis d'autres odeurs, pas toutes agréables, no sorry! Le bonhomme vendait surtout du matériel à chevaux, des attelages, des selles, des outils aussi, de toutes les sortes. Situé pas loin du coin de la rue Perreault, son magasin était connu de tous.
Nous, les frères Beaulieu, nous lui vendions nos lièvres pris aux collets de fil d'étain l'hiver et l'été, nos perdrix tirées à l'aide d'une vieille carabine de calibre 22. En tous les cas, je ne sais pas pour mes frères mais moi je sais qu'il me donnait un dollar et demi pour un lièvre et la même chose pour les volatiles. Je ne le trouvais pas radin, plutôt gentil je dirais, malgré ses maugréements d'homme taciturne.

Le magasin Kresge, j'adorais y prendre le déjeûner, l'ambiance était si bonne que l'on revenait volontiers se mettre au comptoir circulaire. 
Le restaurant Paris Café, Au Bon Café. Suzanne et son beau visage, ses longues jambes aussi (la mini-jupe était à la mode en ces temps immémoriaux et on ne pouvait pas ne pas remarquer le phénomène.). Une serveuse exemplaire, professionnele, jusqu'au bout des ongles et toujours souriante!

La Victory et la Plaza, mes lieux de prédilections préférés, oui, j'adorais le billard. Le Snooker, surtout. J'aime toujours même si ces longues tables ont une nette tendance à disparaître à cette heure. Les souvenirs déboulent et je n'accorde aucune priorité au passage.

Désolé mais je me reprendrai un peu plus tard La nuit est à ma porte... 








      

samedi 21 mai 2016

Le Calex


Des affiches de Jimmy Hendrix et de Bob Dylan, le rebelle. Matheson. Milieu des années soixante.

La vita e bella. Des ours noirs qui rôdent le soir entre les tentes de prospecteurs. Le jour, nous allons au ruisseau qui traverse le parcours juste avant l'entrée de la mine est en train d'électrifier. Un été complet à jouer dans la nature. On joue «Bel enfant noir» à la radio. De retour à Rouyn, c'est l'été, il fait beau, chaud et c'est la fenêtre ouverte qui donne sur la rue Murcdoch qui répand la musique  de Cream à tout va! Dans le duplex du 468, dans la chambre du haut ou dans l'arrière-cour séparée d'une clôture mitoyenne, on se prélassait des heures longues, à regarder les voisines offertes en pâture aux chauds rayons de l'astre diurne, seulement protégées de trois courttes pièces de tissus chacunes, les pauvres!

Souvenir de mon père qui me surprend à reluquer les déesses polonaises, me prend subitement par l'oreille et me force ainsi à me lever bien malgré moi de ma chaise longue. Moi, aussi vert que la pelouse, je me laisse faire car je ne veux pas défier l'autorité avant le bon moment: Je ne suis par encore prêt à quitter le foyer, voyez-vous...

La honte m'habite alors que je quitte piteusement les prémisses pour la fraîcheur de la cuisine. Celle-ci, heureusement, est vide. À part le père et moi, il n'y a personne. Mêm le chat n'est pas là. Soupir de satisfaction.

Ce qui se passe entre mon père et moi reste entre  lui et moi.

Mon père s'assoit à la table de la salle à dîner, je demeure appuyé contre le chambranle de la porte d'entrée, un peu crispé je crois. J'ai tendance, de temps à autre, dans la discussion, à frapper du poing le cadre de la porte. Je n'ai pas encore eu le temps de réagir ainsi qu'il me lance:
«Fais-toi-s'en pas, je te dérange pas pour rien, crains pas! Les petites Chomicki vont s'en remettre, t'en fais pas. Non, si je t'ai fait honte, c'est pour te montrer qu'il faut pas juste rêvasser dans la vie. Il faut aussi surtout penser à gagner sa vie. Tu comprends, je ne tiens pas à te voir flâner, le flanc mou, des jours entiers. Ne rien foutre n'est pas une vie! Tu as seize ans et je ne peux pas me permettre de te voir dehors, à mouiller des yeux pour ces dames. Il faut que tu fasses quelque chose de ta peau et je t'ai trouvé un job.

- Un job?
- Un job, un bon job. Tu te souviens de la station d'essence Calex, à la sortrie de la ville?
- Au bour de Noranda?
- Oui, tout près de la fourche d'Évain et de Noranda-Nord.
- Oui?
- Et bien, tu commences lundi matin!
- Au Calex?
- Oui, au Calex!
- Et qu'est-ce que je vais y faire, à cet ancien poste d'essence?  Le gardien de nuit?
- Non. T'es là pour déclouer la planche, mon gars! Tu vas enfin apprendre à manier le martreau et la...
- De la quoi? De la planche? Ben voyons donc! Et puis quoi encore?
- C'est du marteau et de la barre à clous dont je te parle! Mais oui, c'est vrai: Il va falloir que tu redresses tous les clous que tu arracheras. Mais ç c'est rien si tu penses au salaire qu'on va te donner...
- Ah oui? Et c'est quoi ce fameux taux horaire auquel je vais avoir droit?
- Cinq piastres de l'heure.
J'ai pensé en moi-même et ce, jusqu'au plus profond de mon moi, que je n'avais plus rien à dire...

Trois mois plus tard, je n'avais toujours rien à redire. Le projet du Calex était terminé. Oubliées les Chomicki! Les forces armées canadiennes m'attendaient!

mercredi 20 janvier 2016

Faire une carrière militaire ne m'intéressait pas, je voulais voir du pays autrement.

suite de Les forces armées canadiennes. Au menu 


Sauf que...

         J'ai vécu les plus belles années de ma vie pendant ce court séjour dans les Forces armées canadiennes. Au milieu des années '70, c'était l'époque des discothèques, j'avais 17 ans et je buvais littéralement la vie, oui je la dévorais des yeux, plein d'envies. Je suis devenu un «King Pouf» au bout de deux mois. À l'arrivée des nouvelles cohortes, ce qui se produisait toutes les semaines - ils arrivent le dimanche -, nous savions que les nouveaux seraient curieux de nous voir aller au pas de course, en uniforme de combat et que secrètement ils nous enviaient d'en être à ce stade de l'instruction militaire. Nous, nous savions ce qui les attendait et nous étions compatissants, pleins de bons sentiments à leur égard. Nous commencions réellement à connaître nos limites morales et physiques, nous nous savions malgré tout plus performants qu'auparavant, aux premiers jours de l'entraînement militaire.

 Après l'entraînement de recrue, soit on vous envoie faire l'apprentissage du métier qui vous a été assigné suite aux résultats obtenus à grands renfort de tests d'aptitudes ou alors, on vous envoie ailleurs dans l'attente du dit cours de métier.  


       Ils m'ont envoyé à Ottawa, la capitale du Canada, un début de mois de mai, pour travailler au QG des forces armées canadiennes, sur le boulevard Rideau.

Je suis bilingue, les tests ont démontrés que j'ai les compétences requises pour les tâches qui me seront dévolues, dans ce cas précis des tâches cléricales qui consisteront à faire le classement des dossiers de promotions, d'après le rang et la profession. 


Du huit heures à seize heures tous les jours, cinq jours par semaine. De midi à treize heures, l'heure du repas, je profite du répit pour découvrir les alentours, le canal Rideau, les badauds et tout le tra la la, quoi! Je loge dans un édifice militaire, réservé au personnel œuvrant au QG, non loin du Musée canadien de la Nature. 

   Trois repas par jour. Le matin, on vous demande ce que vous voulez en terme d'œufs : Des œufs tournés ou miroirs (en anglais : "over easy" ou "sunny side up"). Ensuite vient le jambon cuit, les saucisses ou le bacon. On peut demander à avoir les trois viandes dans son assiette. Puis on dirige le plateau vers les grille-pains géants, on récupère une couple de rôties au passage pour terminer avec les jus, un grand verre de lait ou encore un café bien chaud. J'aimais bien les mercredis, en raison de ce qu'il y avait au menu lors du souper (c'est à dire au dîner si je pense à l'Europe). En effet, ces soirs-là, le "steak" était à l'honneur, les frites également!

"Comment tu le veux ton steak, bleu,saignant, bien cuit?" Saignant, je disais. Toutes les fois.
 
    Je suis reconnu chez moi pour mon amour du bœuf. Le vendredi, en période estivale, on délaissait l'uniforme pour se mettre en veston cravate. Toujours, je me souviendrai de ces midis aux abords du canal Rideau, son allée piétonnière et ses bancs de bois étalés ici et là, sur son parcours. Le sourire des gens, le temps paisible et chaud. Combien de fois aussi, me suis-je promené dans les rues de la capitale, au gré de soirs bleutés. Je ne saurais le dire mais je me souviens encore des rue Spark, Bank et Metcalfe. Un spectacle de Martine Saint-Clair, à la Place de la Confédération. Un restaurant mexicain où on vous servait un pichet d'eau pour débuter. Le YMCA, l'entraînement physique, la piscine...
J'ai travaillé tout un été au QG puis au mois de septembre 1975, je suis transféré à Borden, une base militaire sise à l’ouest de Barrie et juste avant Wasaga Beach, cette dernière localité étant dans les faits une plage connue de tous dans ce coin de l'Ontario.
Beaucoup de métiers sont enseignés à Borden, dont «Pompier de structures et d'aéronefs». Le cours se donne en anglais.

À Saint-Jean-sur Richelieu, à la base des recrues francophones des forces armées canadiennes, afin d'évaluer vos capacités linguistiques en anglais, on commence par vous poser des questions à l'oral. 
     Je suis assis en classe avec mon groupe, le groupe 7437 (74 pour l'année 1974 et 37 pour a 37e semaine de cette même année).
 
Je vois l'enseignante debout devant nous, elle questionne Marc, le gars du Labrador : 
"May I ask your name, sir?" dit-elle, mine de rien.

Et Marc de répondre dans un anglais impeccable :  Bolduc. Marc Bolduc, miz.
  «Miz? Il parle sur le très bien, le monsieur! Il laisse savoir à la gente dame qu'il la croit célibataire et non mariée. On peut dire «Ms» pour jeune femme, ou encore «Miz», pour afficher au grand jour votre éloquence, l'aisance avec laquelle vous parler la langue de Shakespeare.»

 L’enseignante reprend:
"So, You're fluent in English, right?
- Right.

- I guess you do not have to stay here any longer...
- I guess so, too. May I leave now?" rétorque Marc.

C'est alors que j'interviens dans la discussion :

"May I say a word, miss? Et, sans attendre une réponse : As a matter of fact, I do think I can also leave this class. Am I right in assuming this? 
 
Le reste de la classe est pendu à mes lèvres, même le gars du Labrador.
- You may leave... Both of you, leave. Now!" dit-elle, en s'adressant à Marc et à l'auteur de la présente.
En quittant la salle du cours d'anglais, on l'a entendu s'enquérir auprès du groupe : Est-ce qu'il y a d'autres génies de l'anglais dans cette classe?»

-Any other geniuses around? No? Good! Let's get on with it, then!
 
Vous n'avez aucune mais aucune connaissance de la langue anglaise? Le cours s'étend sur six longs mois, à raison de huit heures par jour, cinq jours par semaine. 
Ouf! Je l'ai échappé belle! Oui. Mais cela ne m'a pas vraiment aidé pendant mon cours de pompier.  
J'éprouvais de la difficulté dans mon apprentissage et cela malheureusement se reflétait aux tests. Ma connaissance de l'anglais se révélait moindre et ce n'était pas facile à avaler en tant que nouvelle. Mais j'ai persévéré jusqu'à l'obtention de l'attestation officielle. La réussite du cours me change complètement. Je prends beaucoup d'assurance, je cherche maintenant la compagnie des autres et je me lâche lousse dans les joies de la vie, boisson comprise!
Ah, la belle époque!
Je mange au Pink Elephant, la cafétéria-école de la base, là où vont tous ceux qui veulent devenir cuisiniers et je passe la plupart de mes soirées à lire dans ma chambre spartiate.
    Dès le jeudi soir, je suis au Junior Rank's Mess, à L'Algonquin.
Le bar est invitant, il y a des tables rondes, un grand plancher de danse, une table de billard Boston et les canadiens français ont un coin bien à eux dans cette grande salle qu'est le bar des caporaux et des soldats de Borden. 
 
Nous accaparons les banquettes adossées au mur. Devant elles se trouvent des tables rapprochées les unes des autres, et des chaises occupées par nos fesses quasiment toutes québécoises. Nous y buvons du Mattheus, un vin rosé du Portugal dont nous raffolons tous, étant donné la précarité des bons vins dans ce coin de pays (sur cette base et toutes les autres bases militaires, d'ailleurs). C'est à coups d'iglous, iglous, igloos que nous arrosons nos veillées, au rythme de la musique endiablée du DJ, lui aussi francophone. Saturday Night Fever fait fureur et c'est dans le Disco que nous français du QUÉBEC avons faits nos preuves. C'est bien simple, nous sommes tous des Travolta! Si on se compare avec les gens de l'autre langue, j'ose dire tout bas que les anglais n'ont pas le rythme dans le corps comme nous. Nous sommes latins plus que germaniques, nous l'avons et c'est pourquoi les anglaises se laissent invitées à tour de bras par les Frenchies du Qwebec!
C'est dans cette atmosphère que j'évolue.

Dans une foule de règlements aussi.

  À titre d'exemple, si par mégarde, tu te retrouves sur le trottoir qui mène à la baraque des femmes et qu'on t'y prend sur le fait, la Police Militaire, les MPs ont le droit de te mettre illico en cellule :
 

Tout individu se trouvant sur le trottoir de la baraque des femmes est inculpé de tentative de viol sur la femme.

Si on te surprend à l'intérieur même de la baraque des femmes, automatiquement, c'est une inculpation de viol.

Si une femme se retrouve dans une position similaire, du côté de la baraque des hommes, elle se voit automatiquement inculpée de tentative de suicide. Si on te surprend, toi une femme, à l'intérieur de la baraque des hommes, c'est un suicide et tu as besoin de soins psychiatriques. Bizarre, hein?  
 Ou encore, toujours à Saint-Jean-sur-Richelieu :
 Si nous te prenons à franchir la clôture qui sépare cette base de l'extérieur, soit de la vie civile, tu assumeras les conséquences de ton geste mais si nous ne te prenons pas sur le fait, il n'y aura pas de réprimande à ton retour sur la base. 
De l'autre côté de la clôture, tous le savent il y a un bar avec danseuses : La Clef d'Or, réputés pour ses belles. D'accord. Ces événements se sont produits au milieu des années soixante-dix. Il se peut qu'avec le temps, je me suis mis  à fabuler lorsque j'évoque ma vie militaire; il se peut aussi que j'évoque des «non-dits», des faits ou encore des paroles conviées au silence dans cet univers si particulier. Bah, cela fait plus de vingt-cinq ans et je n'ai plus de promesses à tenir envers les forces depuis belle lurette.
    Je sais toutefois que la vie militaire en général, c'était bien. L'armée voyait à notre subsistance, nous étions hébergés, habillés, rassasiés et payés pour travailler dans nos métiers respectifs. 
Outre les huit heures de travail demandées par l'employeur, le reste de la journée t'appartenait. Tu pouvais retirer l'uniforme de travail vert, le ranger et simplement mettre un jeans et un T-shirt.

Tu pouvais quitter la base et vivre hors de son enceinte, avec le monde civil ou tu pouvais vivre ta vie exclusivement sur la base, avec son Club, ses accommodations sportives, avec tes pairs dans des activités telles le Baseball ou le Hockey. Tu pouvais vivre les deux à la fois. Moi, j'ai préféré vivre hors de la base de Downsview, de l'autre côté des rues Keele et Sheppard, dans le quartier Italien de Toronto.
               Plus tard, à Downsview, dans le nord de Toronto..... La rue Isabella, Yonge et Dundas, le Quartier Chinois...

Relater le traumatisme vécu à la prison de Downsview, l'incarcération, l'accusation saugrenue émise par la S.I.U., le contexte politique, René Lévesque, P.E.T, la purge au sein des forces armées canadiennes. Ces événements d'il y a 40 ans ont profondément marqué ma vie. J'avais 21 ans en 1978, à ma sortie de l'armée, ex-soldat nanti d'un diplôme honorable. En effet, à la cinquième année de carrière militaire, un choix doit être fait : Rester dans l'armée ou en sortir. Si tu restes, tu passes le reste de ta vie dans les forces, sinon c'est un retour à la vie civile. J'ai préféré la vie civile, ils avaient ouvert la porte et le choix, on l'avait fait pour moi. Oui, j'ai été victime d'une purge mais ça c'est une autre histoire...