samedi 21 mai 2016

Le Calex


Des affiches de Jimmy Hendrix et de Bob Dylan, le rebelle. Matheson. Milieu des années soixante.

La vita e bella. Des ours noirs qui rôdent le soir entre les tentes de prospecteurs. Le jour, nous allons au ruisseau qui traverse le parcours juste avant l'entrée de la mine est en train d'électrifier. Un été complet à jouer dans la nature. On joue «Bel enfant noir» à la radio. De retour à Rouyn, c'est l'été, il fait beau, chaud et c'est la fenêtre ouverte qui donne sur la rue Murcdoch qui répand la musique  de Cream à tout va! Dans le duplex du 468, dans la chambre du haut ou dans l'arrière-cour séparée d'une clôture mitoyenne, on se prélassait des heures longues, à regarder les voisines offertes en pâture aux chauds rayons de l'astre diurne, seulement protégées de trois courttes pièces de tissus chacunes, les pauvres!

Souvenir de mon père qui me surprend à reluquer les déesses polonaises, me prend subitement par l'oreille et me force ainsi à me lever bien malgré moi de ma chaise longue. Moi, aussi vert que la pelouse, je me laisse faire car je ne veux pas défier l'autorité avant le bon moment: Je ne suis par encore prêt à quitter le foyer, voyez-vous...

La honte m'habite alors que je quitte piteusement les prémisses pour la fraîcheur de la cuisine. Celle-ci, heureusement, est vide. À part le père et moi, il n'y a personne. Mêm le chat n'est pas là. Soupir de satisfaction.

Ce qui se passe entre mon père et moi reste entre  lui et moi.

Mon père s'assoit à la table de la salle à dîner, je demeure appuyé contre le chambranle de la porte d'entrée, un peu crispé je crois. J'ai tendance, de temps à autre, dans la discussion, à frapper du poing le cadre de la porte. Je n'ai pas encore eu le temps de réagir ainsi qu'il me lance:
«Fais-toi-s'en pas, je te dérange pas pour rien, crains pas! Les petites Chomicki vont s'en remettre, t'en fais pas. Non, si je t'ai fait honte, c'est pour te montrer qu'il faut pas juste rêvasser dans la vie. Il faut aussi surtout penser à gagner sa vie. Tu comprends, je ne tiens pas à te voir flâner, le flanc mou, des jours entiers. Ne rien foutre n'est pas une vie! Tu as seize ans et je ne peux pas me permettre de te voir dehors, à mouiller des yeux pour ces dames. Il faut que tu fasses quelque chose de ta peau et je t'ai trouvé un job.

- Un job?
- Un job, un bon job. Tu te souviens de la station d'essence Calex, à la sortrie de la ville?
- Au bour de Noranda?
- Oui, tout près de la fourche d'Évain et de Noranda-Nord.
- Oui?
- Et bien, tu commences lundi matin!
- Au Calex?
- Oui, au Calex!
- Et qu'est-ce que je vais y faire, à cet ancien poste d'essence?  Le gardien de nuit?
- Non. T'es là pour déclouer la planche, mon gars! Tu vas enfin apprendre à manier le martreau et la...
- De la quoi? De la planche? Ben voyons donc! Et puis quoi encore?
- C'est du marteau et de la barre à clous dont je te parle! Mais oui, c'est vrai: Il va falloir que tu redresses tous les clous que tu arracheras. Mais ç c'est rien si tu penses au salaire qu'on va te donner...
- Ah oui? Et c'est quoi ce fameux taux horaire auquel je vais avoir droit?
- Cinq piastres de l'heure.
J'ai pensé en moi-même et ce, jusqu'au plus profond de mon moi, que je n'avais plus rien à dire...

Trois mois plus tard, je n'avais toujours rien à redire. Le projet du Calex était terminé. Oubliées les Chomicki! Les forces armées canadiennes m'attendaient!