mercredi 31 juillet 2013

La terre est là, tout près...



Deux années se sont écoulées depuis le Séminaire St-Michel. Mes parents ont bien vu que je ne porterais pas la soutane. Ils ont décidé de me remettre sur les rails de l'école publique. Je suis en dixième année, techniquement en Secondaire III, selon les normes du système éducatif provincial. L'école Notre-Dame-de-Grâce, l'endroit où je me suis mis à tâter de la cigarette... et les filles. Au Séminaire, elles étaient absentes. Une année plus tard, je me retrouvais à la Polyvalente d'Iberville, presque à l'autre bout de la ville. Ici, les élèves se bousculent entre les cours, soit pour rejoindre une autre salle de cours, ou pour se rendre aux toilettes, à la cafétéria. Une vraie fourmilière! Les professeurs eux, attendent que leurs salles soient pleines pour commencer à enseigner la matière prévue à l'horaire.  Les jeunes cerveaux finissent tous par s'asseoir pour se mettre à l'écoute des sommités. Dans les corridors, silence total. On entendrait une souris péter... Puis, quelques quarante minutes plus tard, le son d'un glas provoque à nouveau l'éruption des masses vers les corridors et les différents paliers composant le complexe.

Je me suis orienté vers le professionnel, c'est à dire vers l'apprentissage d'un métier, dans ce cas précis en électrotechnique. Ça se situe à mi-chemin entre l'électronique et l'électricité. J'aurais dû m'intéresser à l'électricité. J'avais, en la personne de feu mon père, un allié tout indiqué pour apprendre les rudiments du métier. Mais je suis passé comme on dirait ici, à côté de la coche. Je ne saisi pas l'opportunité qui se présente et la suite s'avère catastrophique non pas pour moi mais pour mes parents. Dans les faits, j'ai tellement manqué de cours que l'institution doit m'expulser des prémisses. Cent six absences plus tard, je me retrouve donc à travailler pour gagner ma croûte, chez mes parents.
Papa me donne différentes taches à accomplir pour occuper mes journées. Nous habitons un chalet à l'année et nous chauffons au bois l'hiver. La fin du printemps se passe ainsi, à couper du bois, de la croûte d'arbre, à vrai dire, de l'écorce de "BC Fir" - on parle ici du sapin de Douglas de la Colombie-Britannique, dans l'ouest canadien. Un bois réputé pour sa dureté. Chaque automne, père réserve à la mine deux voyages de camions dix roues, pleins de croûte, pour la modique somme de vingt dollars le voyage. Un montant symbolique, quoi! En temps normal, ce sont mes frères et moi qui devons fendre cette croûte. Aujourd'hui, parce que mon intérêt pour le monde académique a cessé complètement, parce que la foule étudiante m'exaspère, tant pour son brouhaha que pour ses chamailleries, comme le prof d'électrotechnique est d'origine française, de la vieille Europe et que j'ai peine à comprendre les grands termes qu'il utilise pour démystifier la matière qu'il doit rendre, je fend du bois... Parce que papa est venu me chercher sur l'heure de midi, dans le sous-sol de la salle de billard de l'hôtel Plaza, en me tirant l'oreille devant tous mes confrères sauteurs de classe et en m'expliquant qu'on lui avait tout dit pour ce qui était de mes nombreuses absences de l'école et le refus de celle-ci de me réintégrer dans son enceinte, je fend du bois. 

La hache devient ma compagne puis ma complice, en ce sens que lorsque j'ai complété le tas de croûte qui m'a été attribué pour la journée, je peux quitter le terrain pour pousser la chaloupe à l'eau. Le lac invite à la détente, je ne peux guère lui résister... Muni de mes cannes à pêche et d'un livre, à la rame, je me rend dans mes coins favoris, certains source de brochets et d'autres, de dorés. Le lac Beauchastel a connu la pêche commerciale dans l'ancien temps; depuis des années, on y pêchait l'esturgeon, pour ses œufs surtout...
Lac Beauchastel, Abitibi. Québec, Canada.
Notre famille s'est installée définitivement sur les rives de ce lac au début des années '70. Je le connais aujourd'hui comme le fond de ma poche. Il en va de même pour la forêt qui l'entoure. La fin de semaine, je profite du répit pour explorer cette contrée parcourue de feuillus et de conifères. Pour ce faire, je m'éloigne avec le canoë. Il est plus maniable et peut aller en eau peu profonde, ce qui me permet d'accoster là où on ne pourrait le faire autrement équipé. Puis, je m'enfonce à la découverte de splendeurs de toutes sortes, ne serait-ce que la présence furtive d'une bête ou la beauté d'un site naturel. Les sens en alerte, je prend des heures à avancer, je marche sur la pointe des pieds, je repose le talon sur le sol, attentif à ne pas faire de bruit, déterminé à surprendre...

Tantôt, je rencontre un lièvre. Hier, c'était un élan; avant-hier, une gélinotte huppée. Il m'est même arrivé de croiser le chemin de Môkwa, l'ours. C'était à la fin du mois de juillet, à la saison des bleuets. Heureusement, j'ai vu la bête à bonne distance. C'est en silence que je recule. Il m'épie de ses petits yeux. J'évite de le regarder franchement, je fuis son regard. Il sent ma personne, les effluves qui lui parviennent lui disent que je n'ai pas peur. En effet, je suis en train de me concentrer dur comme fer sur un événement heureux, encore récent dans ma mémoire... Ainsi, je ne songe pas à la possibilité qu'il me fonce dessus, car je suis en pleine plaine.  Il y aurait des arbres que je n'en voudrais pas.
L'ours qui est là est dix fois plus rapide et cinquante fois plus agile que moi entre les branches d'un arbre. Je me souviens de ce jour où une ourse avait déboulé la colline que je descendais moi-même presque à quatre membres, encore enfant.

Môkwa m'observe encore un peu puis reprend sa quête. Bientôt, je ne vois plus que son postérieur.

Comme je sortais du sous-bois, une main pleine de bleuets et l'autre qui s'appuie encore contre le cœur à la vue du gros monsieur noir, je le laisse sortir de ma vision cependant que je m'avance très lentement sur sa trace. J'ai le vent dans le visage  et il est devant moi. Cela m'indique qu'il ne peut sentir ma présence puisque je suis derrière lui. Je m'arrête là où il s'est arrêté tout à l'heure, je me penche au-dessus de sa piste et laisse tous me bleuets sur place. Je ne le sais pas à ce moment mais je viens d'agir comme un autochtone, et comme l'Algonquin j'ai remercié Môkwa de ne pas s'être occupé de moi...

Ce soir-là, à mon retour au chalet, papa m'annonce la grande nouvelle : Il m'a déniché un emploi chez une de ses anciens amis, un cultivateur du nord-est ontarien, un francophone de la petite municipalité de Earlton. Ainsi, p'pa m'envoie travailler à la ferme Sigouin. Je suis blanc comme un linge, je le sais. Jamais je ne me suis attendu à quitter mon petit paradis. Merde!

Le jour fatidique est arrivé, papa est derrière le volant, je suis le passager qui ne parle pas, qui regarde obstinément devant lui et ne se laisse distraire par rien. Autrement dit, je suis dans tous mes états! Je rêvais de partir, je voulais lever le pouce, faire de l'auto-stop vers l'inconnu et voilà que mon père me conduit au supplice. Une heure et demie de route après, nous sommes à la hauteur d'un rang et cherchons la ferme de monsieur Sigouin. Ça sent la terre, le foin, la bouse de vache... J'aime. J'aime bien. C'est différent du lac et de la forêt. C'est nouveau et ça me plaît, ouais. Des kilomètres de terre défrichée, sur laquelle des céréales se déploient, des surfaces entières recouvertes d'orge, de blé, voire de soya. Nous traversons des champs entiers de maïs et bang! Voici la ferme Sigouin, étalée au centre de plusieurs acres d'herbes hautes, des herbes qui sous peu seront fauchées pour le bénéfice des bêtes, du foin hautement apprécié par la gente bovine. Passons. Une petite maison carrée, construite sur deux étages se présente à nous. Monsieur et madame Sigouin sont sur la véranda et s'avancent vers la voiture. Papa met les freins; nous sortons pour saluer les propriétaires de la ferme. Derrière eux, une jeune femme se tient derrière la porte d'entrée  à demi fermée. Elle est de mon âge.... Sans mot dire, elle jauge la nouvelle cargaison d'inconnus, dont moi. Je rougis à la seule vue de son regard vert posé sur moi, aussi je détourne le visage, mine de rien, vers la ferme. Mon Dieu qu'elle a de beaux yeux, ses cheveux d'or, ses épaules rondes! Conquis, je pose à nouveau mes yeux sur elle. Un sourire est apparu sur ses lèvres. Nous nous regardons, béats, tandis que ses parents et mon père renouent. J'indique la ferme, elle acquiesce. Les adultes s'abreuvent de paroles, nous quittons la véranda pour rejoindre l'étable, sans être remarqués. De chaque côté de l'étable, une rangée de six vaches présentent leurs derrières. Nous marchons dans l'allée centrale, les vaches sont occupées à s'empiffrer dans du foin frais. Elle me dit :

"Tu vois cette vache qui lève la queue? Elle t'invite à lui dire bonjour!
- Ah oui? dis-je, le visage plein de doutes.
- Place-toi devant!
- D'accord."
Je me plante devant le derrière de madame la vache et je commence à me tourner vers la jeune femme pour lui demander son prénom quand un tsunami de liquide chaud m'asperge de long en large. 
"Mais qu'est-ce que... qu'est-ce que c'est que c'est ça?
- De la pisse de vache! Bienvenue en campagne! Tu viens de subir l'initiation avec succès. Félicitations, maintenant tu sais pourquoi elle lève la queue! Ah, ah, ah!"

Toujours est-il qu'au bout d'une semaine de durs labeurs, à partir du nettoyage des enclos à cochons, en passant par l'abreuvage de jeunes taures - elles engloutissent au moins treize à quinze sceau d'eau à la fois -, faire les foins muni d'une fourche et d'un peu de volonté, en plus de traire à la main toutes les vaches de la ferme, chaque jour que le Bon Dieu amène, à travers le plantage des pieux délimitant la propriété, accoupler le bœuf avec une vache, allaiter les veaux et laver les réservoirs à lait, j'ai fini par baisser pavillon...

"Ah, et je peux savoir pourquoi tu veux quitter? T'aimes pas ça, ici?

- Voyez-vous, ça a commencé avec un bain de pisse le premier jour. Ensuite, vous m'avez demandé de sortir toutes les vaches de la grange sauf une. Vous avez sorti le bœuf de son enclos et vous avez placée une hache entre mes mains en me demandant gentiment de bien vouloir me placer au centre de la porte grande ouverte de l'étable, supposément pour empêcher le boeuf de sortir avant la copulation. Et pour couronner le tout, ma chambre se trouve au deuxième étage et l'unique fenêtre de ma chambre donne sur un tas de fumier, monsieur!

- T'aimes pas le fumier, et puis?
- Et puis? Il se trouve que je suis asthmatique moi, monsieur. Asthmatique. J'ai besoin d'air, de beaucoup d'air et c'est pas une odeur de merde qui va m'aider à respirer, c'est certain!
- Tu veux ta paie tout de suite?
- Si ça ne vous dérange pas, monsieur Sigouin." J'aimerais pouvoir partir aujourd'hui...
- D'accord. Voilà ta paie.
- Trente dollars?
- ....
- Trente dollars?
- Cinq piastres par jour, c'est ce qui a été convenu avec ton père. Faut qu'on aille en ville tout à l'heure, pour la messe. Tu veux une "ride"?
- C'est sûr que je veux! Merci bien, monsieur Sigouin.
- J'appelle ton père si tu veux...
- Non, non. Je l'appellerai quand je serai en ville. Pas de soucis.

J'aime beaucoup les dimanches, je sais vraiment pas pourquoi...
 
9 de ...



Dans un prochain jet : L'autre ferme... La petite cabane, les sièges de chars, les gars de bicycles... Calex. L'été de l'armée. 






vendredi 19 juillet 2013

Séminaire St-Michel....


      Institution d'enseignement privée dirigée par des ecclésiastiques et des laïcs, orientée vers  l'instruction classique et la pratique de la religion, le Séminaire St-Michel a transformés la vie de plusieurs d'entre nous, à Rouyn-Noranda et dans la région, en Abitibi-Témiscamingue. Installé dans les murs de l'ancien orphelinat de Rouyn, le séminaire St-Michel se présente à cette époque sous plusieurs facettes. 
Tout le tra la la s'y trouve : Des salles de cours, une grande salle d'étude, une chapelle, une cafétéria, un dortoir - pour les élèves qui demeurent à l'extérieur de Rouyn -, une radio communautaire, un gymnase, c'est à dire une salle multidisciplinaire qui peut recevoir des spectacles, ou l'on peut jouer comédies et dramatiques, enfin une salle où tous les sports intérieurs peuvent être pratiqués. Tout ceci complété par un terrain de baseball que l'on transforme en patinoire l'hiver venu. 
        
Ce fut mon univers pendant deux belles années. Je ne savais pas encore que nous allions faire partie d'une des dernières cohortes produites par cette vénérable institution qu'était le Séminaire. J'ai appris le Latin, pour être plus précis j'ai essayé de l'apprendre. J'arrête ici l'espace d'un instant pour expliquer cet état de fait : Le professeur, monsieur Mathieu est Haïtien d'origine et moi, je suis québécois français, ça explique tout... Ça n'explique pas tout? Mais si, je précise : Généralement, quand on s'adresse en français à un haïtien, il répond en français mais sans prononcer la lettre "R" dans son discours. Est-ce une tendance généralisée? je ne saurais l'affirmer. Alors, on imagine la scène, cocasse, d'un professeur de Latin ne prononçant pas ses "R". 


"Alo, je disais ceci avant la denièe et ènième intè_uption de monsieur Beaulieu :

-  Une ose se dit osa, des oses, osae (pononcer osa-é). La teminaison ... Mais en latin, les noms (ponoms, adjectifs) changent aussi. Leu teminaison selon leu fonction dans la phase."

Traduit en français, ça donne ceci :
 

-  Une rose se dit rosa. des roses, rosae (prononcez rosa-é). La terminaison ... Mais en latin, les noms (pronoms, adjectifs) changent aussi. leur terminaison selon leur fonction dans la phrase

Comprend-on à présent le sérieux de cette affirmation qui est mienne? L'affirmation selon laquelle il y a faute, non pas de la part de l'élève mais bien  de la part de l'enseignant! Né au Québec, monsieur Mathieu n'aurait pas à nous faire vivre pareille cacophonie. C'est comme chercher une toilette dans un labyrinthe! Je passe et repasse mes yeux sur le texte qui est devant moi et j'ose à peine croire que ce qu'il, monsieur Mathieu, vient de dire n'a aucun sens mais vraiment aucun sens. Et quand je relis le texte qu'il vient lui-même de terminer, la compréhension fini enfin par jaillir, une rrrrroooose. Une rrrrroooose! Je pensais qu'il disait : une "hose", un boyau de jardin en anglais. Passons. J'exagère, comme d'habitude. Finalement, je me suis tout simplement désintéressé du cours de latin. 

Au lieu de passer mon temps à écouter les divagations de monsieur le professeur, je confesse avoir pris beaucoup de temps à épier une bien jolie demoiselle venue à la fenêtre de son logement, de l'autre côté de la rue, un certain matin d'école... C'était en septembre. Depuis, elle réapparaît à sa fenêtre tous les jours, parfois elle se laisse caresser le visage par une douce brise ou encore elle tend le cou vers les chauds rayons du soleil, tandis que moi je rêve de lui coller une bise sur les lèvres. 

Puis, un jour d'hiver peu après les fêtes de Noël et du jour de l'An, de retour au Séminaire, j'ai longtemps remarqué son absence. Ma première blonde, virtuellement parlant. De longs cheveux blond lisses, qui tirent sur le blanc; un teint pâle, joues et lèvres roses. Mince. Belle. Énigmatique locataire d'en face, comme j'ai voulu rassembler suffisamment de courage pour me rendre à ta porte et te dire bonjour, comme ça, juste pour le plaisir de te voir un peu plus près, entendre ta voix et sentir ton odeur. Cette année-là, j'ai coulé le cours de latin, bien entendu. Mais j'ai excellé dans la langue de Molière et celle de Shakespeare, je suis devenu commentateur sportif à la radio du Séminaire, le temps d'un tournoi de Hockey. J'ai dû réécrire la phrase "Je ne dérangerai plus en classe et je n'oublierai plus mes devoirs à la maison" cinq cent fois, dans la salle d'études, un samedi. Je suivais des cours de flûtes à bec, sans succès. Même chose pour la guitare et l'harmonica. Puis je me suis retiré à la bibliothèque et comme un rat j'ai parcouru toutes ses étagères, jusqu'au moindre recoin. J'ai commencé par éplucher les Atlas, car savoir où l'on se trouve est important. Puis je me suis penché sur la nature, la flore, la faune terrestre et aviaire, et même marine car savoir se distinguer des autres est également important. Chaque midi, je trouvais le temps et un endroit où lire. Dans cette bulle, j'oubliais tout de l'extérieur, je poursuivais ma quête du savoir. On m'aurait torturé et jamais je n'aurais avoué l'immense curiosité qui m'habitait en ces temps lointains. Je ne voulais pas qu'on me méprenne pour quelqu'un que je n'étais pas mais je tenais à conserver des liens d'amitié avec mes pairs, ne serait-ce que pour bien paraître en société. Ma soif de connaissances fit de moi un prisonnier du papier. En Égypte, un scribe. En Grèce, un moine. En prison, un écrivain. Au silence, voué au silence. Homme avec peu de vie recherche la lueur d'une chandelle afin de poursuivre le travail de l'écriture... Enfin, l'Histoire est venue s'ajouter à la longue liste des curiosités. À cette seule fin de me renseigner plus avant sur le sujet, j'ai acheté l'encyclopédie de l'Histoire de Simon & Shuster, historiens américains de renommée mondiale et ce, pour la modeste somme de dix dollars canadiens. Le montant à lui seul contribuait à défrayer le coût du dédouanement à la frontière canado-américaine.


Entre seize heures et dix-sept heures. C'est à ce moment que l'on peut pratiquer nos sports préférés; soit au gymnase, soit à l'extérieur. La dernière heure de la journée, de dix-sept heures à 18 heures, c'est à la salle d'études que se termine le quotidien académique. Ainsi, les devoirs accomplis, de retour à la maison, on est libre de faire ce que l'on veut de notre soirée. Ah, la belle vie d'étudiant! En terme de sport individuel, je préférais la gymnastique, surtout le cheval allemand.






En groupe, j'aimais beaucoup le Basket (Ballon panier). À un mètre quatre vingt, j'étais à mon avantage dans ce sport. Ensuite,venait le Volley Ball (Ballon Volant) et en tout dernier le Base-Ball. L'hiver, il y avait la pitoune, le hockey bottine, quoi! Et il y avait les arts, de la flûte à bec à la guitare, du théâtre, des expositions et même une cérémonie religieuse, qui avait lieu si je me souviens bien, tous les mercredis, à la fin des cours. 

C'était à la fin de l'époque des messes dites «À GoGo», une célébration liturgique tenue dans les années soixante au sein de l'Église catholique pour rendre la cérémonie plus aguichante, en présence de musiciens, généralement un ensemble de guitare et de batterie à percussion. Il y a même eu les chants de John  Littelton, un artiste qui mettait de l'avant un genre inspiré du  spiritual afro-américain. Dans les faits, cette messe au final fut proscrite dans nos églises par la hiérarchie épiscopale... 

Puis, la messe chantée en français a rempli les murs du Séminaire, des chants vivants, rythmés, exultants. Dans cette lithurgie, le chant des fidèles est privilégié et c'est pourquoi, durant cette partie de mon adolescence, j'aime être en chapelle. Nos voix, pour la plupart jeunes, fusaient hors des murs, j'en suis sûr. 



Note : les manteaux du surplus d'armée, le lac rémigny, chez les scouts à Mattawa, le lac Normand. le centre de recrutement, par l'oreille. Maurice le chat, le collet à lièvre


roland mathieu romeo lapointe sœur élise gervais robert jetté michel baril
















jeudi 18 juillet 2013

Intermède...

 

  
La Rivière Kinojevis, Abitibi, Québec. Canada.
 
 
La Kinojevis vue sous un autre angle...
 
 
 
 
 La route 117, l'autoroute Transcanadienne enjambe la rivière Kinojevis. Je la traverse tous les jours pour me rendre au travail... 
 
 
 
 
*   *   *
 
 
 
 
 




 

Sur le lac Opasatica, Abitibi. Québec. Canada.
Mon frère Claude et le résultat de notre journée : Des dorés!

Pour en savoir plus sur ce coin de pays, c'est ici !






samedi 13 juillet 2013

You hurt?

La famille a aménagé dans un duplex de la mine, sur la rue Murdoch, à Noranda. Au 468. Quand on emprunte la ruelle pour se rendre à l'école Sacré-cœur, d'un côté il y a les cours arrières des demeures et de l'autre, un boisé jalonné de cap de rocs épars, le tout formant une pointe de nature au cœur des quartiers avoisinants de la ville. Tout de suite en sortant de ma cour, devant le boisé est un garage. Dans l'entre-toit de l'édifice un pigeonnier a été installé. C'est un vieux monsieur polonais qui est à l'origine de ce pigeonnier. C'est le propriétaire de la maison d'à côté. Les pigeons l'aiment bien, nous aussi. Il est gentil et ne ferait pas de mal à une mouche. Il pourrait être un ancien nazi, un haut gradé de la Wermack ou encore un exterminateur au camp de concentration d'Auschwitz, je ne le saurai jamais. Mais pour nous les frères Beaulieu, l'homme était un solitaire qui prenait soin des pigeons du lac Osisko. Pas un once de méchanceté ne s'en dégageait...

Était-ce madame Cliche, l'instigatrice d'une cabane pour les oies blanches du lac Édouard, à Rouyn? Ça ne me surprendrait pas, étant donné sa propension, depuis des années, à vouloir civilisé cette terre inculte entourant le petit lac, une terre qui s'appellerait un jour le "Parc à Fleur d'Eau". 

Mais ici, dans ce coin de nature allongé du côté gauche de la ruelle, il est facile de s'isoler quelques heures sans voir ni entendre personne. 


L'hiver, nous profitons des pentes d'une colline qui se dégage et surplombe le boisé, nous aimons surtout celle qui donne sur la 15e rue, un vaste espace de neige, une pente juste assez rapide et longue pour plaire à tout un chacun. Un jour, Daniel s'est fait attaqué par d'autres garçons qui venaient de temps à autre essayer la colline. Je me trouve au-dessus de la mêlée, tel un faucon, tout en haut de la colline, j'observe la scène de mes yeux perçants. Daniel est en contre-bas, au pied de la pente, entouré des jeunes. Je me dis qu'il a sûrement insulté l'un d'eux au passage, en glissant, et que c'est en bas qu'ils ont tous convenus de régler l'affront. Le grand Yves s'en vient, Daniel! Sois brave et tais-toi le temps que j'arrive! Faut pas envenimer la situation plus qu'elle ne l'est! Mais déjà je vois Daniel qui se précipite vers le plus grand d'entre eux. Il fonce dessus pour le prendre à la taille et le pousser au sol. Les deux autres jeunes s'approchent derrière lui... Merde, merde, merde!
Je saisis ma luge, je la place droit devant moi et je la fais avancer un petit peu puis je me jette sur le ventre sur son dos. Yves le héros descend à toute vitesse sur son engin le long de la pente, il esquive de peu des retardataires et pilote enfin la luge vers les agresseurs de Daniel, son bien-aimé frère.
Dans les faits, ce dernier est enfoui sous le groupe, les bras et les jambes battant à tout va dans toutes les directions. Le con s'est encore mis dans des beaux draps! Naturellement, Big Brother est là, prêt à sauver le fraternel! Du pied gauche, je fais tourner la luge en direction du derrière le plus près de moi, je me fous de travers dans le sillage du postérieur ennemi. Sous l'impact, il plie des jambes et bascule au-dessus de moi, sur le dos; j'ai le temps de me lever debout avant qu'un deuxième larron se tourne vers moi et tente de me balancer un poing dans le visage (disons dans la tronche pour les plus français d'entre nous). Daniel s'est relevé entretemps. Le plus grand des trois est à genoux sur le sol, il se tient la joue et pleure sa misère. Vraisemblablement, mon frère a eu le dessus sur lui. Celui qui a basculé par dessus moi s'éloigne à toute vitesse cependant que mon nouvel assaillant a le dos tourné à Daniel et ne se doute pas un instant que mon frérot s'est placé à quatre pattes derrière lui, comme un vrai Indien... Je m'avance vers mon coco et avec une violence inouïe, je le pousse contre Daniel. Le dernier larron bascule et se retrouve le derrière à terre, ahuri. Il est allongé sur le dos, nous sommes au-dessus de lui, mio et frérot, un grand sourire sur les lèvres. 
Je me tourne vers Daniel et je lui demande à brûle-pourpoint, s'il est l'instigateur de toute cette embrassade. Il me répond que oui, sans hésitation. Il anticipe la question suivante et explique tout de go : "Ils ont déclaré que la colline était à eux dorénavant et que je devrais aller glisser ailleurs, à partir de tout de suite!"
- Tu comprends bien que je ne pouvais accepter une telle proposition! C'était rire de moi, c'était insulté mon nom de Beaulieu! C'était... trop. Trop, c'était trop et tu me connais, il a fallu que je leur dise ce que je pensais de tout ça. Nous, les Beaulieu, bannis à jamais de la colline du parc Mouska!
- Oui, oui. J'ai déjà entendu ça quelque part...
- Je te le dis, Yves. C'est eux qui ont commencé!
-D'accord. D'accord. Toi. Lèves-toi et marche, dis-je, en pointant du doigt celui qui se trémoussait encore, bien couché sur le dos. Vas rejoindre ton "chum", donne-lui un kleenex, qu'il cesse de brailler!
Daniel a tendu sa main vers l'innocent qui n'arrivait pas à se relever dignement. De l'autre main, il lui tend un kleenex (un mouchoir de papier, pour les moins anglais de nous). L'autre se remet debout, penaud, et retrouve son compère au bout de quelques pas. On l'entend qui déblatère au sujet de son nez que Daniel aurait cogné. Je lève un sourcil et Daniel indique que ce n'est pas vrai et qu'il ne ferait jamais cela à un anglais, même s'il était son pire ennemi.

Je regarde les deux anglais de l'école anglaise qui se trouve de l'autre côté de la clôture de l'école Sacré-Cœur et dans un anglais impeccable, pose la question suivante : 

- You hurt?" (Vous avez mal?)
Les deux m'ont regardé, ils se sont regardés et de nouveau ont posé le regard sur moi, silencieux comme des carpes.


"Bof. Tu viens Daniel? La soirée ne fait que commencer. On remonte la côte?
- On remonte la côte.
-D'ac oh dac, on remonte la côte!"


                                                           *   *   *

7 de ...

(À reprendre, dans un autre jet...)



Note : Empreinte de pas en bordure de trottoir 1969 YB. le parc mouska, le cap d'ours Grosse maison de la mine, la clôture s'avançant dans le lac,le jardin et les vols de carottes. Le mur du chalet de Tennis. Séminaire. Tables de Mississippi. Balle-molle. Sœur Élise, monsieur R. Mathieu, enseignant

jeudi 11 juillet 2013

CKRN...

Nous nous sommes plutôt dirigé vers Noranda-Nord; à la limite nord de l'agglomération se trouve un boisé et dans cet amas d'arbres un petit édifice collé contre une tour de communication, celle de la station de télévision Radio-Nord, CKRN. 
C'était là l'objectif du jour : Se rendre à l'emplacement même de cet édifice, s'asseoir et visualisées des centaines de pellicules cinématographiques, disséminées sur tout le pourtour de la bâtisse et de la tour. Pour une fois, Claude ne s'est pas opposé à mon projet. Peut-être espérait-il se rincer l’œil d'images obscènes, peut-être pas. J'essaierais de découvrir sa motivation réelle plus tard. Pour l'instant, la tour se profilait au-dessus des arbres.

Je pointe deux doigts vers mes yeux puis vers les siens, indiquant mon désir qu'il bifurque un peu vers la droite tandis que je prend sur la gauche. Il comprend tout de suite. On ne se présentera pas à découvert sur le site mais bien sous le couvert du boisé, prudence oblige. Il ne fallait surtout pas qu'on nous voie fouiller dans les souvenirs de l'Abitibi, ni du Témiscamingue. Quel secret se cachait donc dans ce méandre cinématooooographique? Quel méfait, quel meurtre avait-on commis? À quelle époque& Avant ou après notre Révolution tranquille? Un jour, je suis tombé sur une photographie ancienne, emprisonnée sur un pellicule plastique, qui montrait un homme étendu sur le dos, dans la neige, sur le lac Osisko, entouré de  billets éparpillés autour de sa personne.
On m'a dit que l'assassinat de cet homme s'était produit à une époque obscure de Rouyn, au moment où le campement qui entourait la mine de cuivre faisait place à une ville en pleine explosion démographique, une ville "Boum-Town", qui avait poussé comme un champignon, du jour au lendemain. Aventuriers et prospecteurs se disputaient la boisson dans des tripots enfumés, les filles de joie se donnaient joyeusement dans ce brouhaha de voix d'hommes. Le soir se présentait et une toute autre vie s'écoulait nuit après nuit, là dans cet amalgame de bâtisses entourées d'une forêt encore sauvage.


 Rue Royal. Malartic, Québec. Canada. 1952
 À force de prospecter le sol, on en était venu à la conclusion que toutes ces découvertes aurifères se situaient le long d'une faille que l'on nommerait faille de Cadillac, une faille qui s'étend presque au bout du Bouclier canadien. D'où l'émergence rapide de nouvelles villes, surnommées les villes "Boum-Town". La ruée vers l'or ne se trouvait pas qu'au Yukon, elle se vérifiait aussi en Abitibi, dans le nord-ouest de la province du Québec.
6 de ...

mercredi 10 juillet 2013

Des patates?

J'ai découragé mes frères de me suivre lorsque je me rend en forêt. Comment aie-je fait cela? Avec grâce, dois-je dire... J'ai tout simplement utilisé des patates! Daniel, Richard et en enfin, Claude. Ils ont tous eu de ma médecine. Je les savais derrière moi, cachés dans les buissons, derrière un tronc d'arbre, qu'il soit debout ou couché. Ils me guettaient et se pensaient invisibles. Mais Œil de Lynx toujours, les épiait. J'étais dans mon domaine et en ce royaume pas une fissure ne m'était inconnue. Je connaissais tous les arbres, chaque repli de terre et la faune le reconnaissait volontiers. J'étais un des leurs, un fauve parmi les fauves et en moi coulait un sang amérindien. Le Sioux n'a pas peur des fripous! Ça se dit "fripou"? En tous les cas, c'était au tour de Claude aujourd'hui...
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Il se prenait aussi pour un indien, c'était pas drôle à voir. Je jouais le jeu de l'imbécile qui ne sait pas qu'il est suivi et je gambadais dans les prés au gré des chants d'oiseaux.

Et le temps d'une flèche à sa cible, je l'ai surpris en train de se gratter le fond du derrière, pardonnez l'expression. Imaginez ses yeux, son regard ébahi quand il se rend compte que son grand frère, une fois encore, l'a débusqué! Je peux lire ses pensées : "Il m'a eu, le rat, il m'a eu! 

Je me suis remis en route, un havre-sac en bandoulière, heureux d'avoir un peu de compagnie.

Ce n'est que lorsque le soleil fut à l'apogée de sa course, au zénith, que je me suis enfin arrêté; enfin, que nous nous sommes arrêtés...  Claude me percuta de plein fouet, faute de reconnaître la manœuvre subite du grand frère. "Ouch" - pronnoncer "How-tche" - s'écria le petit frère, surpris à n'en pas douter. Et d'ajouter : "Mais qu'est-ce que tu fous? Tu aurais pu avertir, au moins!

- S'cuse-moi... J'ai pensé qu'on pourrait s'arrêter ici pour manger un petit peu. Ça te dit de bouffer? Et Claude de répondre :
- J'ai pas écrasé le lunch, au moins?
- Pas du tout.
- Pas du tout?
- Ouais : Pas du tout." 
Je me suis mis à farfouiller dans mon havre-sac, histoire de dénicher le briquet.
- Tu veux bien aller nous chercher du petit branchage sec? Je dois préparer le feu et je ne trouve pas mon feu...
- Oui, oui. Pas de problème, j'y vais! fit Claude. Il s'éloigna de quelques pas puis se retourna vivement. Tu peux me dire ce que tu nous prépare?
- Des patates.
- Des quoi?
- Des patates, je te dis.
- Et bien, merde alors! Des patates!"
Claude me regardait, les yeux plein d'appréhension. À le voir, on sentait qu'il était écœuré d'apprendre cette vérité. Son regard se porta sur moi, accusateur.
"Ben quoi? J'aime ça des patates moi! J'ai pas le droit d'aimer les patates? Toi, tu aimes bien le macaroni au fromage et tomates. C'est pareil pour moi mais avec les patates!
- Yves, Yves. Il va falloir que tu te fasses soigner, ça n'a vraiment pas de bon sens!
- Tu espérais quoi au juste, un bifteck du roi peut-être? Ici, en plein bois, au beau milieu de la forêt? You-hou, réveilles! Ici la Terre. Il y a quelqu'un? 
- Des patates... j'aurai tout vu.
- T'as pas tout vu...
- Quoi? 
- Je trouve pas le briquet. Va falloir manger cru, mon frère.
- Merde.
- Tu peux le redire... 

Nous avons préféré ne pas manger de patates crues ce jour-là.

                                                             *   *   *
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Ref.: en Latin. Notre-Dame-de- Grâce. Bissonnette et nos lièvres. Trottoirs de bois. 106 absences.

mardi 9 juillet 2013

De grelôts...

Retour en avant : 1967 s'est terminée en beauté. Manon, ma petite sœur, tu n'es encore qu'un nouveau-né que déjà nous t'aimons tous. Tu as deux années de vie bien pleines quand je me retrouve avec un bicycle à pneus "balloune", en quelque sorte l'ancêtre du pneu de vélo de montagne actuel mais avec une traction peu prononcée... J'ai à présent l'occasion de visiter tous les amis connus dans les différentes écoles de la ville au cours de ces quelques années en terre québécoise. Plus important encore, dorénavant, je pourrai combattre la présence nocive du souffre sortant des cheminées de la mine Horne, au nord de Rouyn, puis au nord de Noranda, au-delà du lac Osisko.


Le lac sépare les villes jumelles. D'un côté, les commerces et les débits de boissons et de l'autre, une ville de mineurs, résidentielle, érigée au pied de la mine de cuivre, découverte en 1911 par Edmund Horne, prospecteur de métier.

Mon vélo, ah mon vélo! Fidèle ami. Nous habitions ce secteur, nous logions à un plus d'une centaine de mètres du lac, tout contre le parc qui le ceinturait depuis les années '20. À moins d'un kilomètre des deux cheminées de la minière, nous n'étions pas à l'abri de la fumée qui en émanait, les jours où le vent tombait complètement à plat.

Ces jours-là, je tendais la main vers mon vélo et subito presto je me retrouvais dans un quartier sain, dénué de l'odeur forte du souffre, une odeur d’œuf pourri, épouvantable à soutenir pour tout asthmatique car elle signifiait difficulté à respirer, souffle court et tout le bataclan, quoi.

À bien y penser, cette émanation me dérangeait beaucoup moins que l'effet même du souffre sur ma personne ou devrais-je dire ma petite personne, pour faire plus triste encore. Sauvée par mon vélo, ma vie allait s'améliorer de beaucoup... De simple amateur de vélo, je suis vite passé à professionnel en ce domaine. Un futur Lance Armstrong mais sans être gonflé de stéroïdes anabolisants, c'est cela oui.
On en vint vite à m'appeler El Zorro car j'apparaissais comme tel aux yeux de mes amis, style façon surprise surprise, me voici! De plus, je portais, au bas de chacune des jambes de mon jeans, des pompons grosseur grelot, qui rappelaient les premiers gringos mexicains vus dans les films américains. Des grelots aux bas de pantalons et aux pourtours des sombreros, sauf que dans mon cas, le sombrero était demeuré à la maison.

Mais tous savaient le pourquoi de ces visites impromptues et je leur étais reconnaissant de ne jamais m'en parler (J'ai la larme à l’œil, en passant, à ces seuls mots.). Qu'importe! Ce qui importe c'est que je sois ici aujourd'hui à me raconter. Mort, je ne servirais aucune cause : je ne dirais rien, n'est-ce pas? Et puis il y a une histoire à raconter et il faut qu'elle soit dite, ou écrite "Oune" point c'est tout. J'ai beau n'être qu'un grain de sable dans cet univers, je mérite quand même d'être entendu! Après une telle affirmation, on entendrait un poisson péter...

Des années plus tard, je réaliserai mon erreur quant à la présence de ces "grelots" au bas des pantalons. Le ridicule ne tue pas, j'en suis la preuve. C'est également à l'âge de douze ans que j'ai mérité les surnoms de "Boots" et de "Bottine de feutre", au Séminaire Saint-Michel, une institution privée de Rouyn. Mais ça, c'est une autre histoire!
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lundi 8 juillet 2013

Au 5, 6e rue...

Terre des Hommes. Le monde entier, du 28 avril au 27 octobre 1967 se réunit en terre d'Amérique.


Soixante deux pays se retrouvent à l'exposition Terre des Hommes et cinquante millions de visiteurs, passeport mondial en mains, franchissent tous les pavillons des pays hôtes. L'exposition universelle de Montréal a lieu dans la province francophone du Québec, au Canada. Et c'est au milieu du fleuve Saint-Laurent, sur l'île Sainte-Hélène - dont on a doublé la superficie - ainsi que sur une nouvelle île construite de mains d'hommes, l'île Notre-Dame, que se déroulera l'événement planétaire.

J'en parle et j'en bave, je vous dirais, lectrices et lecteurs (pour déroger aux règles grammaticales qui veulent que la femme passe après l'homme dans les textes.).

Passons, d'autres propos se préparent. Par exemple : Ma petite sœur Manon voit le jour un 25 févier 1967. Ce n'est pas rien. Ça se passe dix ans après la naissance du dernier enfant. Toute la famille est ravie bien sûr. Christine, l'aînée des enfants nous fait d'excellent repas pendant l'absence de papa. Quand je dis "nous", je dis "nous" les quatre frères : Richard, Claude, Daniel et l'auteur de ces lignes.


Nous logeons au sous-sol du logement familial. Au rez-de-chaussé, il y a la cuisine qui donne sur la cour arrière et un salon qui embrasse la 6e rue. Le deuxième étage est fait de deux chambres à coucher ainsi que d'une salle de bain. Comme je le disais tout à l'heure, mes frères et moi sommes dans une chambre aménagée au sous-sol. Des lits superposés de chaque côté de la pièce, séparés au centre par quatre pupitres d'écolier, en bois, avec trou pour encrier et tout et tout. Les pupitres sont collés les uns contre les autres, face au mur sur lequel ils ont été poussés.
Il y a belle lurette qu'on n'utilise plus ni l'encrier ni la plume mais ça demeure agréable au regard. Il s'agit quand même d'un meuble d'une autre époque... Le chat, donc, est parti et les souris dansent. Les fins de semaines, c'est à qui de nous quatre veillera le plus longtemps le soir, jusque tard dans la nuit. Étant l'aîné de mes frères, je m'efforce de donner l'exemple... Christine croit tout ce que je lui raconte car elle me perçoit comme le plus responsable de nous tous. Aussi, je m'attarde longuement avec elle sur ses qualités de chef, en cuisine. L'adolescence m'a frappé de plein fouet et mon ventre ne cesse de réclamer de la bouffe. Je lui suggère des plats appétissants tels que : macaroni au fromage Cheez Whiz, - un  merveilleux fromage cheddar crémeux - avec tomates épicées. Omelette style "Western", riz frit au poulet et champignons et mon meilleur repas au monde, un rôti de bas de palette de bœuf avec des pommes de terre pilées au lait et a beurre. Je ne parlerai pas ici des desserts, par respect pour le lecteur affamé. En un tour de main, Christine te prépare un repas le temps d'un pet, subito presto. Après, le plus difficile pour nous les hommes (nous avons tout de même neuf, dix et onze ans), c'est de faire la vaisselle. Christine en tête, elle passe les assiettes propres au plus vieux des gars qui lui s'écarte pour faire place au suivant, soit Daniel et ainsi de suite, jusqu'au tout petit, celui qui répond au nom de Richard. Un instant malheureux au sein d'une période heureuse, en somme.


J'ai sept ans. Nous somme au mois de juin 1964. Je me tiens dans le coin avant de la cour, elle donne sur la rue Seymore, à North Bay.. Ma mère est sur le perron, elle sourit. Je suis fier car je viens de montrer à papa que je pouvais lacer mes espadrilles... Ce même été, mon père emmène la famille rester en forêt, à Matheson en Ontario. Il vient d'obtenir le contrat d'installer l'électricité dans une mine nouvellement construite. Il nous installe dans un campement où il y a une dizaine de tentes de prospecteurs, grandes et toutes traversées d'un tuyau, relié à un poêle à bois. La nuit venue, cette source de chaleur était vite appréciée...
Christine et moi, Matheson, Ontario.
Une photo (à la droite du texte) de moi à cette époque prouve sans équivoque que j'avais réellement été embauché pour protéger les familles du coin contre les nombreux ours noirs qui rôdaient aux alentours. En vérité, c'est à regret que j'ai accepté l'offre du chef de ce campement, monsieur je ne me souviens plus de son nom machin chouette.

Mais oui, mais oui, je porte un révolver! Ça ne se voit pas? Christine, ma grande sœur bien aimée, pourrait en témoigner vivement. Elle est sur la photographie, quoi de plus crédible? J'ai bien aimé cet intermède : En pleine nature, au cœur de la forêt boréale, au sein d'un campement minier, dans un endroit où seuls les ours étaient rois avant la venue des hommes. Derrière la tente se trouvait un amas de balles de foin fraîchement coupé, un peu plus loin en contrebas du campement, une petite rivière traversait le sentier menant à la mine, le rêve absolu pour tout jeune garçon! Mais moi par-dessus tout, je préférais la cafétéria. C'était une tente de toile blanche immense, d'environ quarante mètres par quarante. Il y avait en son centre deux grandes tables faisant presque la même distance. Tout au fond de la tente, au bout des tables, on devinait une autre tente, la cuisine. J'assistais religieusement aux trois repas : Petit déjeuner, déjeuner et dîner. La boustiffaille était tellement bonne qu'on en oubliait la proximité des ours qui certainement devaient humer les émanations provenant de la cafétéria. Les jours se déroulaient ainsi, au fil des repas, à ne rien faire d'autre que de jouer dans la paille, attraper des couleuvres et des crapauds, courir après les écrevisses sur les rives du petit cours d'eau, dans l'attente de papa qui reviendrait de la mine, la boîte à "lunch" au bout  du bras recélant des livrets de bandes dessinées et parfois un demi-sandwich ou encore un petit dessert. La belle époque!
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dimanche 7 juillet 2013

Paul...

Un peu plus loin dans le temps, nous roulons en voiture, dans une petite Envoy bleu marin qui remonte la route 63 Nord et croise la route 101 qui elle, serpente parallèlement au lac Témiscamingue. Nous venons justement de dépasser la petite localité de Témiscaming; située au  pied de ce grand lac. D'ici quelques minutes, nous serons au Québec. Je suis malade, j'ai l'asthme, j'ai une forte grippe et des fois je vomis.... Le voyage de ma vie quoi! Plus que trois heures de route avant Rouyn-Noranda.  

École Mgr Pelletier, je dois refaire ma 3e année de primaire au Québec. J'habite au 150 Taschereau ouest, dans un six logements. Tout près de l'immeuble il y a un mur de ciment, haut de plus d'une dizaine de mètres. Au-delà de ce mur, au faîte d'une ancienne colline se trouve l'ancien réservoir d'eau de la ville de Rouyn. Nous sommes allé voir ce réservoir de plus près à maintes reprise; une échelle menait à une porte, unique sur tout le pourtour de l'immense citerne.

À l'intérieur, une sorte de balcon métallique permettait de pencher le regard et d'observer une masse d'eau sombre, au fond du réservoir. Des années plus tard, on ferait de cette masse circulaire de briques brunes un édifice à logements, appelé "La Tourelle". Les logements y seraient découpés en pointes de tartes, de grandes ouvertures donneraient sur des pans entiers de la ville, dans toutes les directions.

Je me suis fait un ami en la personne de Paul Laronde. Il reste dans une maison blanche et dans sa cour arrière, il a un tamia en cage, une cage à suisse qu'on dit ici, nantie d'une roue permettant à la petite bête de s'exercer en la faisant tourner de l'intérieur, sur elle-même. Un jour, un peu plus tard durant l'été, j'ai voulu revoir le petit suisse; je me suis rendu chez Paul et j'ai demandé à madame Laronde si Paul pouvait venir à la porte.
Madame Laronde s'est penchée vers moi et elle a dit ceci : "Je crois que Paul ne te verra plus, Yves. Paul nous a quitté hier. Il était au lac, il s'est noyé. Mon garçon est parti pour toujours, pour toujours tu comprends?" Elle était presque à genoux maintenant. Accroupie devant moi, ébranlée par de lourds sanglots, elle pleurait toute sa peine. Je ne savais plus que faire. J'ai eu la force de poser ma main sur son bras et j'ai dû lui dire que je devais partir. Je risquais de me laisser aller aussi aux pleurs. Le grand frère de Paul était facteur pour la ville de Rouyn. Pendant des années, après cet événement tragique, sa rencontre dans les rues de la ville m'a aidé à supporter l'absence de mon ami, De le rencontrer ainsi, à l'impromptu, me rappelait chaque fois l'époque où tout était normal sur la rue Taschereau, où Paul et moi faisions des projets de capture d'animaux, de baignades au lac Kiwanis ou de glissades au Cap d'Ours, l'hiver et nos rêves allaient ensemble vers des sommets vierges, au fur et à la mesure des jours qui passaient.

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samedi 6 juillet 2013

Au jour...

Haileybury, Ontario. 1957. Je vois le jour dans cette petite localité du nord est de l'Ontario, voisine de la province française du Québec dont mes parents sont originaires. Je serai le fier descendant de Pierre Hudon dit Beaulieu, soldat du régiment de Carignan-Salières, venu défendre la Nouvelle-France contre les Iroquois à l'automne de l'année 1668.

Mes souvenirs de cette ville sont inexistants, je ne me souviens pas de cette époque où la famille vivait à Cobalt, ou était-ce à North Cobalt.
1920
En tous les cas, c'est dans le nouvel hôpital de Haileybury que je suis né; si je dis nouvel hôpital, c'est que trente-cinq ans plus tôt un grand incendie ravageait le premier centre hospitalier ainsi qu'une bonne partie des villes appelées les Tri-Town, toutes localisées sur les pourtours ontarien du lac Témiscamingue. Plusieurs avaient dû se réfugier dans les eaux du lac, sauvant ainsi leurs vies.

Oct.1922

L'incendie de 1922, encore bien présent dans la mémoire collective, n'avait pas réussi à calmer l'ardeur des gens du coin; ceux-ci s'étaient tout de suite retroussés les manches pour la reconstruction. C'est ici à Cobalt, que mon père fit ses premières armes dans le domaine de l'électricité domiciliaire, nanti de son diplôme d'électricien de l'Institut Aviron de Québec. Et c'est à North Bay qu'il alla chercher l'expérience pour se qualifier quelques années plus tard dans un poste d'électricien au sein de la minière Noranda, en Abitibi, au Québec. 

                                                ***

Je marche sur la rue King, vers l'est, vers l'école élémentaire Saint-Vincent, l'unique établissement scolaire entièrement francophone de North Bay. Je suis avec mes camarades de classe et nous déambulons l'artère comme si au contraire de se rendre à l'école, nous faisions l'école buissonnière. C'est vendredi et demain matin, tous s'apprêtent à vivre l'événement de l'année : La venue des poneys! C'est comme si c'était hier, je revois la scène et encore un peu plus je respirerais le foin étendu sur le sol afin d'amortir le son des sabots au contact du béton. En effet, généralement cette partie de la cour était réservée aux grandes personnes, nos professeurs en l'occurrence.

Je revois mon père, grand et mince, me soulever de terre pour me tenir dans ses bras. Il portait une chemise à manches courtes carrelée rouge et blanche, des pantalons de travail bleus et son éternel chapeau à la "Frank Sinatra" placé de façon à laisser le front dégagé. Mon tour de poney approche. Une jeune fille s'approche de nous avec un petit cheval.

Mon père m'assoit sur le poney et me dit de bien tenir le pommeau à corne de la selle cependant qu'il prend les rennes que la jeune fille lui tend maintenant. Ah, jour mémorable pour le bambino que je suis! Depuis le temps que je regarde les indiens passer devant chez-moi, les dames assises à dos de cheval, les hommes et les enfants à pied, suivant de près les bêtes. Maintenant, c'est moi qui suis sur le cheval et c'est mon papa qui marche à côté de moi!

Souvenance d'un petit livret que l'on m'a volé, le jour même où je le gagnait. C'était au sortir de l'école Saint-Vincent, le dernier jour d'école avant les grandes vacances estivales. Le groupe de 3e année était sorti avant nous, ceux de la 2e année et c'est un des élèves de 3e qui m'a bousculé pour rien, comme ça, comme si c'était naturel que d'agir de la sorte. Il a saisi mon prix  et a quitté la cour d'école avec ses amis, sans même se retourner, devant moi, devant mes amis tous aussi ébahis que moi. Le choc passé, je me suis mis à pleurer comme un veau, à regarder mes mains vides et le dos de mon premier intimidateur, un beau jour de début d'été, à North Bay.

22 novembre 1963. C'est vendredi; il pleut dehors, la neige n'est pas encore au rendez-vous aujourd'hui. Nous sommes tous réunis dans le salon : Christine, mes frères Daniel, Claude, Richard et l'auteur de ces lignes. La télévision syntonise un poste de nouvelles et personne n'y prête attention. Il est midi trente et, affalés sur le plancher de tuiles brunes pâles, nous nous faisons la guerre avec des petits soldats en plastique. "Pan, pan, pan!" T'es mort! Comme l'attaque venait de mon frère Claude, ou devrais-je dire comme l'attaque venait du soldat de Claude, mon soldat s'est précipité sur le côté, de manière à éviter les trois balles tirées à bout portant.

Je venais de réussir la manœuvre quand nous entendirent un "PAN" sonore sortir du haut-parleur de la TV.

Et c'est figés devant le poste de télévision que tous nous virent le président américain John Kennedy se faire assassiner par une deuxième puis une troisième balle, directement dans sa limousine, sous les yeux de sa femme.
Christine et maman ont le dos tournés à l'évier, la première avec un linge à vaisselle entre coincé entre ses lèvres et la seconde avec un torchon au bout du bras, et la main gauche sur la bouche, cachant à peine des "Oh Mon Dieu!" répétitifs. Mes frères ne bougeaient plus, les yeux rivés sur l'écran du poste, choqués.

La télévision, ce jour-là, diffusait le passage du président américain John Kennedy à Dallas, en campagne électorale contre les Républicains. Tout ceci, c'est mon père qui a voulu me l'expliquer peu après ce triste événement, peut-être afin que je saisisse bien la portée du geste posé par l'assassin de cet homme qui semblait si bon.
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