samedi 6 juillet 2013

Au jour...

Haileybury, Ontario. 1957. Je vois le jour dans cette petite localité du nord est de l'Ontario, voisine de la province française du Québec dont mes parents sont originaires. Je serai le fier descendant de Pierre Hudon dit Beaulieu, soldat du régiment de Carignan-Salières, venu défendre la Nouvelle-France contre les Iroquois à l'automne de l'année 1668.

Mes souvenirs de cette ville sont inexistants, je ne me souviens pas de cette époque où la famille vivait à Cobalt, ou était-ce à North Cobalt.
1920
En tous les cas, c'est dans le nouvel hôpital de Haileybury que je suis né; si je dis nouvel hôpital, c'est que trente-cinq ans plus tôt un grand incendie ravageait le premier centre hospitalier ainsi qu'une bonne partie des villes appelées les Tri-Town, toutes localisées sur les pourtours ontarien du lac Témiscamingue. Plusieurs avaient dû se réfugier dans les eaux du lac, sauvant ainsi leurs vies.

Oct.1922

L'incendie de 1922, encore bien présent dans la mémoire collective, n'avait pas réussi à calmer l'ardeur des gens du coin; ceux-ci s'étaient tout de suite retroussés les manches pour la reconstruction. C'est ici à Cobalt, que mon père fit ses premières armes dans le domaine de l'électricité domiciliaire, nanti de son diplôme d'électricien de l'Institut Aviron de Québec. Et c'est à North Bay qu'il alla chercher l'expérience pour se qualifier quelques années plus tard dans un poste d'électricien au sein de la minière Noranda, en Abitibi, au Québec. 

                                                ***

Je marche sur la rue King, vers l'est, vers l'école élémentaire Saint-Vincent, l'unique établissement scolaire entièrement francophone de North Bay. Je suis avec mes camarades de classe et nous déambulons l'artère comme si au contraire de se rendre à l'école, nous faisions l'école buissonnière. C'est vendredi et demain matin, tous s'apprêtent à vivre l'événement de l'année : La venue des poneys! C'est comme si c'était hier, je revois la scène et encore un peu plus je respirerais le foin étendu sur le sol afin d'amortir le son des sabots au contact du béton. En effet, généralement cette partie de la cour était réservée aux grandes personnes, nos professeurs en l'occurrence.

Je revois mon père, grand et mince, me soulever de terre pour me tenir dans ses bras. Il portait une chemise à manches courtes carrelée rouge et blanche, des pantalons de travail bleus et son éternel chapeau à la "Frank Sinatra" placé de façon à laisser le front dégagé. Mon tour de poney approche. Une jeune fille s'approche de nous avec un petit cheval.

Mon père m'assoit sur le poney et me dit de bien tenir le pommeau à corne de la selle cependant qu'il prend les rennes que la jeune fille lui tend maintenant. Ah, jour mémorable pour le bambino que je suis! Depuis le temps que je regarde les indiens passer devant chez-moi, les dames assises à dos de cheval, les hommes et les enfants à pied, suivant de près les bêtes. Maintenant, c'est moi qui suis sur le cheval et c'est mon papa qui marche à côté de moi!

Souvenance d'un petit livret que l'on m'a volé, le jour même où je le gagnait. C'était au sortir de l'école Saint-Vincent, le dernier jour d'école avant les grandes vacances estivales. Le groupe de 3e année était sorti avant nous, ceux de la 2e année et c'est un des élèves de 3e qui m'a bousculé pour rien, comme ça, comme si c'était naturel que d'agir de la sorte. Il a saisi mon prix  et a quitté la cour d'école avec ses amis, sans même se retourner, devant moi, devant mes amis tous aussi ébahis que moi. Le choc passé, je me suis mis à pleurer comme un veau, à regarder mes mains vides et le dos de mon premier intimidateur, un beau jour de début d'été, à North Bay.

22 novembre 1963. C'est vendredi; il pleut dehors, la neige n'est pas encore au rendez-vous aujourd'hui. Nous sommes tous réunis dans le salon : Christine, mes frères Daniel, Claude, Richard et l'auteur de ces lignes. La télévision syntonise un poste de nouvelles et personne n'y prête attention. Il est midi trente et, affalés sur le plancher de tuiles brunes pâles, nous nous faisons la guerre avec des petits soldats en plastique. "Pan, pan, pan!" T'es mort! Comme l'attaque venait de mon frère Claude, ou devrais-je dire comme l'attaque venait du soldat de Claude, mon soldat s'est précipité sur le côté, de manière à éviter les trois balles tirées à bout portant.

Je venais de réussir la manœuvre quand nous entendirent un "PAN" sonore sortir du haut-parleur de la TV.

Et c'est figés devant le poste de télévision que tous nous virent le président américain John Kennedy se faire assassiner par une deuxième puis une troisième balle, directement dans sa limousine, sous les yeux de sa femme.
Christine et maman ont le dos tournés à l'évier, la première avec un linge à vaisselle entre coincé entre ses lèvres et la seconde avec un torchon au bout du bras, et la main gauche sur la bouche, cachant à peine des "Oh Mon Dieu!" répétitifs. Mes frères ne bougeaient plus, les yeux rivés sur l'écran du poste, choqués.

La télévision, ce jour-là, diffusait le passage du président américain John Kennedy à Dallas, en campagne électorale contre les Républicains. Tout ceci, c'est mon père qui a voulu me l'expliquer peu après ce triste événement, peut-être afin que je saisisse bien la portée du geste posé par l'assassin de cet homme qui semblait si bon.
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